Category Archives: Polar

Les veuves de Malabar Hill – Une aventure de Perveen Mistry

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De Sujata Massey
Paru chez Charleston

Bombay, 1921.
Perveen Mistry travaille dans le cabinet d’avocats de son père, devenant la toute première femme avocate en Inde. Un statut qui ne manque pas de faire débat, alors que seuls les hommes sont autorisés à plaider au tribunal… Mais quand un meurtre est commis dans une riche maison musulmane pratiquant la purdah (séparation stricte des femmes et des hommes), elle est la seule à pouvoir mener l’enquête.
Une enquête passionnante, qui nous plonge au cœur de la société indienne du début du XXe siècle et de la place qu’y occupent les femmes.

Je suis tombée sur ce livre par hasard, via des copines lectrices amatrices de cosy mysteries. Les cosy sont en vogue actuellement mais sont malheureusement très inégaux. Celui-ci a un parfum exotique, en nous faisant voyager dans l’Inde des années 20 (voire plus tôt dans les flashbacks), tout en gardant un petit côté british, colonisation oblige. Le récit s’appuie sur un contexte historique étayé et passionnant.
L’intrigue est tout aussi enthousiasmante, avec une héroïne très attachante, alternant entre périodes du passé, où nous découvrons l’histoire de Perveen, et périodes au présent, où elle va mener son enquête malgré le fait qu’elle soit une « simple femme ». Ici encore, l’enquête s’appuie sur des bases solides et les deux époques apportent énormément d’informations sur les traditions des différentes communautés, la culture indienne et le mode de vie de l’époque, offrant un environnement riche et dépaysant. L’intrigue est suffisamment étoffée et dynamique pour maintenir l’attention jusqu’au bout. L’enquête fonctionne parfaitement et est bien dosée.
De mon point de vue, c’est une réussite pour ce cosy atypique qui a du fond, tout en étant très abordable, grâce à la fluidité du texte. Encore un cosy qui se démarque !

Madame Mohr a disparu

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Maryla Szymiczkowa (nom de plume du duo d’auteurs Jacek Dehnel et Piotr Tarczinsky)
Traduction Marie Furman-Bouvard
Paru chez Agullo

Cracovie, 1893. Zofia Turbotyńska, sans enfants, mariée à un professeur d’université, s’efforce de gagner sa place dans la haute société cracovienne. Dans ce but, et pour lutter contre l’ennui de sa vie domestique, elle s’engage au service d’une cause caritative : la Maison Helcel, maison de soins privée pour les malades et les vieux. Lorsqu’une résidente, Mme Mohr, est trouvée morte dans le grenier, le médecin conclut à une crise cardiaque. Mais Zofia, grande lectrice de romans policiers, y voit aussitôt un acte criminel et décide d’enquêter.

Les cosy mysteries sont très en vogue depuis quelque temps. Cet engouement est facile à comprendre : il s’agit de livres assez courts, faciles et agréables à lire et faisant souvent partie d’une série au plus ou moins long cours, ce qui permet de s’attacher au personnage principal. Ce fantastique cosy (et non cosy fantastique, nuance qui a son importance) se déroule dans la bonne société cracovienne de 1893 et tout comme la danse du même nom, son tempo tranquille au départ, devient ensuite de plus en plus vif…

Les auteurs croquent avec délectation cette société polonaise d’un 19e siècle vieillissant mettant en scène une galerie de personnages hauts en couleur. Zofia bourgeoise pleine d’ambition et piètre poète qui mène son petit monde (et au-delà) à la baguette est au centre de l’action, accompagnée de rôles secondaires intéressants.

On plonge avec délices dans la grande vie du Cracovie de l’époque, où le monde est si petit, au rythme de ses temps forts historiques : l’inauguration du nouveau théâtre de Cracovie, les obsèques du grand peintre Jan Matejko…
C’est là que réside d’ailleurs la force de ce roman. Le contexte historique est passionnant et parfait pour accueillir notre intrigue. L’ambiance est bien posée et représente une originalité singulière au regard de la plupart des cosys. Par ailleurs, la satire de la société bourgeoise polonaise ajoute encore au plaisir de lecture. N’ayant pas cette culture, on passe certainement à côté de sous-entendus ou traits d’esprits mais qu’importe, le ton est résolument ironique et c’est bien agréable. Les auteurs jouent à fond la carte du second degré et de la dérision et cela fonctionne parfaitement.

Zofia devient au fil des pages une héroïne très convaincante dans son nouveau rôle, digne des plus grands enquêteurs de polars littéraires (une petite pensée pour Miss Marple), donnant envie de prolonger l’aventure avec les prochains tomes à venir. L’enquête elle-même est suffisamment étoffée et habilement construite pour rester intéressante jusqu’au bout. J’ai toutefois regretté que les révélations finales ne soient pas mieux distillées en amont. Elles le sont bien sûr, sinon l’enquête ne fonctionnerait pas, mais pas assez à mon goût.
Il s’agit d’une lecture légère, rythmée, amusante très sympa, qui place la barre assez haut dans le milieu du cosy.

Griffes

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De Malika Ferdjoukh
Paru chez l’Ecole des loisirs

Morgan’s Moore, au nord de l’Angleterre. Ses villageois, ses notables, son unique auberge et ses crimes épouvantables… Un crime non élucidé reste à ce point mystérieux que Scotland Yard a dépêché sur place le superintendant Tanyblwch et son jeune adjoint, Pitchum Daybright, tout juste diplômé de la Royal School of Studies in Criminology. Ce dernier voit d’un mauvais oeil les interventions de Flannery, la fille des aubergistes, qui est convaincue de pouvoir les aider dans leur enquête. Non seulement, Miss-Je-sais-Tout-sur-Tout a la langue bien pendue, mais elle a le chic pour lui faire monter le rouge aux joues. Il faut dire que la demoiselle est une peste fort charmante…

Une fois la superbe couverture de François Roca soulevée, le récit entraîne le lecteur dans une enquête haletante à l’ancienne

Ce sympathique cosy mystery pour la jeunesse propose une ambiance so british épatante avec une enquête bien menée, autant du côté de Scotland Yard avec des inspecteurs extrêmement sympathiques, que du côté des néophytes, avec une héroïne enquêtrice en herbe extraordinaire. Ce dernier personnage contribue énormément au succès de ce roman, de mon point de vue.

Il en résulte un récit pétillant, dynamique et drôle, sans temps morts, suffisamment long et travaillé pour que l’enquête ait du sens.
Une lecture rocambolesque et pleine de surprises, qui tient ses promesses jusqu’au bout… tout comme l’autrice dont la plume promet chaque fois une belle aventure.

Harlem shuffle

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De Colson Whitehead
Traduction Charles Recoursé
Paru chez Albin Michel

Petites arnaques, embrouilles et lutte des classes… La fresque irrésistible du Harlem des années 1960. Époux aimant, père de famille attentionné et fils d’un homme de main lié à la pègre locale, Ray Carney, vendeur de meubles et d’électroménager à New York sur la 125e Rue, « n’est pas un voyou, tout juste un peu filou ». Jusqu’à ce que son cousin lui propose de cambrioler le célèbre Hôtel Theresa, surnommé le Waldorf de Harlem…
Chink Montague, habile à manier le coupe-chou, Pepper, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Miami Joe, gangster tout de violet vêtu, et autres flics véreux ou pornographes pyromanes composent le paysage de ce roman féroce et drôle. Mais son personnage principal est Harlem, haut lieu de la lutte pour les droits civiques, où la mort d’un adolescent noir, abattu par un policier blanc, déclencha en 1964 des émeutes préfigurant celles qui ont eu lieu à la mort de George Floyd.

Harlem Shuffle met en scène des personnages charismatiques auxquels on s’attache immédiatement, au point de pardonner à Carney, ses petits écarts (dus eux-mêmes au fait qu’il pardonne tout à son cousin Freddie).
Ce polar noir propose une intrigue simple, au rythme plutôt lent, permettant à l’auteur de mettre l’accent sur le contexte. Il brosse ainsi un portrait réaliste de cette communauté noire, coincée entre ses rêves et aspirations d’un côté et son appréhension du changement vers un avenir un peu flou, de l’autre. La condition noire américaine est au centre du récit qui fournit un prétexte parfait pour un message plus politique.

Mais Harlem Shuffle est avant tout une visite de Harlem. Le quartier, en pleine évolution, est presque considéré comme un personnage à part entière. Il se révèle complexe, changeant et parfois dangereux, avec ses règles propres. Le récit nous offre une plongée imagée et très immersive dans la vie de ce quartier au bord de l’implosion (voire plus). Outre cette présentation assez visuelle, l’auteur a su éviter les clichés, ce qui donne une belle authenticité au texte. C’est un contexte très intéressant et bien posé, qui met l’accent sur les luttes sociales pour les droits civiques et contre la ségrégation, sur fond de révolte populaire.

Harlem Shuffle est une belle réussite de Colson Whitehead qui propose un scénario intéressant du point de vue de l’intrigue, mais aussi de l’Histoire, avec une écriture à la fois abordable et de qualité.