Monthly Archives: March 2024

La double vie de Dina Miller

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De Zoé Brisby
Paru chez Albin Michel

Qui pourrait croire en voyant cette jeune femme gracile qu’elle vient de tuer l’un des plus grands criminels ?
1961, en pleine guerre froide, Kennedy lance le programme Mercury, point de départ de la conquête spatiale. Huntsville, Alabama, bat au rythme de son Centre spatial et de la toute jeune NASA. Dans le quartier huppé de Rocket District, où vivent les scientifiques et leurs familles, Dina Miller s’installe avec une mission : faire justice. Si les jolies maisons aux façades colorées et au gazon immaculé sont parfaitement entretenues, elles cachent pourtant bien des secrets… Ces brillants chercheurs qui œuvrent au futur radieux de l’Amérique, citoyens exemplaires, époux et pères de famille respectables, sont-ils aussi irréprochables qu’ils le prétendent ?

Un roman mettant en scène des femmes fortes, allant au bout de leurs convictions et des hommes qui se croient bien malins d’avoir réussi à tirer leur épingle du jeu malgré leur passé nazi, caché sous un vernis de respectabilité tout neuf.
Un roman qui expose les enjeux politiques, économiques, scientifiques d’une nation et les sacrifices et entorses que celle-ci est prête à consentir pour les mener à bien. À vrai dire, cet aspect n’est pas joli joli…
Un roman qui dévoile les coulisses de l’opération Paperclip, mais pas seulement, évoquant également la Seconde Guerre mondiale, mais aussi la ségrégation aux Etats-Unis. La fiction s’appuie ici parfaitement sur des faits réels, c’est peut-être ce qui fait sa force.

Je ne connaissais pas cette autrice, mais elle a su me convaincre avec un style franc et sans chichis, mettant l’intrigue en place efficacement, tout en ménageant des rebondissements, avec une héroïne à la personnalité attachante. Le texte est fluide et prenant, très agréable à lire.

Des milliards de tapis de cheveux

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D’Andreas Eschbach
Paru aux éditions L’Atalante

Quelque part aux confins de l’empire se niche une planète que seule une curieuse coutume distingue de ses consœurs : depuis des temps immémoriaux, les hommes, tisseurs de père en fils, y fabriquent des tapis de cheveux destinés à orner le palais des étoile de l’empereur.
Pourtant, certains, tel cet homme au passé nébuleux qui prétend venir d’une lointaine planète, racontent que l’empereur n’est plus. Qu’il aurait été tué par des rebelles.
Mais alors, à quoi – ou à qui – peuvent donc servir ces tapis ?

Ce roman est construit de façon très particulière, avec un côté très “déstructuré”. Ici, aucune linéarité temporelle ! Le récit alterne sauts dans le passé et le futur, indépendamment d’une période donnée et même d’un lieu donné. De même, le personnage principal change à chaque chapitre ou presque, déplaçant l’intrigue chaque fois un peu plus loin. On avance ainsi du microcosme d’un personnage à l’autre, pour découvrir petit à petit les ramifications du mystère de ces tapis et de l’Empereur. En contrepartie, il est difficile de s’attacher aux personnages et de garder un fil conducteur.
Pour autant, les mystères formant le cœur du récit sont très prenants et l’ambiance bien installée, sans oublier un texte poétique très agréable.

Au-delà, ce récit peut amener le lecteur à s’interroger sur l’effet de l’histoire avec un grand H sur le commun des mortels, ainsi que sur l’origine, la place, la pertinence dans la durée et le poids des traditions dans une société.

Un roman de science-fiction atypique, déroutant mais intéressant et agréable à lire.

Saga La tour de garde

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De Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier
Paru chez Aux forges de Vulcain

Il s’agit d’un projet original, écrit à quatre mains, Guillaume Chamanadjian s’occupant des trois tomes de Capitale du Sud et Claire Duvivier de ceux de Capitale du Nord. Deux cités et modes de vie différents dans un même univers. L’alternance des tomes offre une expérience de lecture vraiment intéressante (et pour ma part inédite). Une conception qui a de quoi attiser la curiosité d’emblée, épaulée par de belles couvertures stimulant efficacement les appétences. Chaque capitale a ses propres règles, ses propres soucis, et pourtant, des traits d’union vont apparaître, d’abord ténus, puis plus francs et marqués. Dans les deux cas, la politique et les intrigues seront omniprésentes… Dans les deux cas, la magie sera sombre, mystérieuse et fascinante. Avec sa construction atypique et un nombre de tomes suffisant pour mener une intrigue sympa, c’est une saga qui vaut le coup.

Résumé du premier tome de Capitale du Sud
Enfermée derrière deux murailles immenses, la Cité est une mégalopole surpeuplée, constituée de multiples duchés. Commis d’épicerie sur le port, Nox est lié depuis son enfance à la maison de la Caouane, la tortue de mer. Il partage son temps entre livraisons de vins prestigieux et sessions de poésie avec ses amis. Suite à un coup d’éclat, il hérite d’un livre de poésie qui raconte l’origine de la Cité. Très vite, Nox se rend compte que le texte fait écho à sa propre histoire. Malgré lui, il se retrouve emporté dans des enjeux politiques qui le dépassent, et confronté à la part sombre de sa ville, une cité-miroir peuplée de monstres.

L’auteur s’appuie sur un héros qui semble simple, avec des émotions et des préoccupations humaines (c’est-à-dire que tout un chacun peut comprendre et auxquelles il est éventuellement possible de s’identifier), un personnage à la croisée de différentes strates de la société, parfait pour lancer la saga. Et pourtant la ville recèle bien des mystères. Ceux-ci vont commencer à se dévoiler au fil du premier tome, qui permet de poser le décor et de mettre en place un univers riche, bien que s’appuyant des bases de fantasy urbaine assez classiques. On démarre sur des bases tranquilles, puis le rythme s’accélère, tout en laissant de la place pour la suite. J’ai regretté pour ma part que ce premier tome reste un peu trop en surface et il m’aura fallu deux lectures de celui-ci, puis les tomes suivants, avant d’entrer pleinement dans cette intrigue.

Dès le tome 2, on est au cœur de l’action, qui comporte son lot de complots et de manipulation, nous entraînant à un rythme rapide vers un final explosif. Les seconds tomes sont parfois (trop souvent) un peu faiblards. Celui-ci fait exception, installant efficacement une tension qui va crescendo.

Le dernier tome est marqué par une évolution du personnage principal, pour mieux se reconstruire. Parallèlement, l’univers et les points restés en suspens finissent de se dévoiler. L’auteur s’appuie sur les contes, ce qui est bien trouvé, apportant à la fois délicatesse et noirceur à l’intrigue, avec un beau final, parfaitement à la hauteur des promesses esquissées dans les tomes précédents. La tension est parfaitement dosée sur l’ensemble des trois tomes, le rythme soutenu et la fin grandiose.

Résumé du premier tome de Capitale du Nord
Amalia Van Esqwill est une jeune aristocrate de Dehaven, issue d’une puissante famille : son père possède une compagnie commerciale et sa mère tient un siège au Haut Conseil. Progressistes, ils lui ont offert, à elle et à d’autres enfants de la Citadelle, une instruction basée sur les sciences et les humanités. Jusqu’au jour où le fiancé d’Amalia se met en tête de reproduire un sortilège ancien dont il a appris l’existence dans un livre. Au moment précis où la tension accumulée dans les Faubourgs explose et où une guerre semble prête à éclater dans les colonies d’outre-mer, la magie refait son apparition dans la ville si rationnelle de Dehaven. Et malgré toute son éducation, Amalia ne pourra rien pour empêcher le sort de frapper sa famille et ses amis.

Tout comme dans le premier tome de Capitale du sud, le rythme de départ est tranquille. Les choses se mettent en place, avec de nouveaux protagonistes et une ambiance résolument différente. Le mystère s’épaissit tranquillement, laissant pas mal de questions en suspens pour plus tard. Cette amorce est nettement moins sombre que pour Capitale du sud, avec un côté peut-être plus jeunesse. On suit malgré tout le même mode opératoire, avec un final plein de surprises qui rebat totalement les cartes et relance le lecteur pour la suite (en le laissant estomaqué).

Le tome 2 est ici aussi très bien dosé, avec une psychologie des personnages bien travaillée, gagnant en originalité au fil du développement de l’intrigue.

La rencontre entre nos protagonistes (et donc des deux « mondes » explorés dans chaque trilogie) intervient dans les tomes 3. D’abord Capitale du Sud, puis Capitale du Nord. Lors de la lecture des tomes 2, tout le monde se demande quand, comment, etc. et cela se fait finalement de façon assez naturelle dans le troisième tome. Tout et chacun trouve sa place… Après les émotions suscitées par le dernier tome de Capitale du Sud et les rebondissements en cascade, la première partie de ce tome 3, bien qu’apportant une nouvelle lumière sur certaines situations, semble redondante et bien moins intense. La dernière partie nous amène quant à elle au bout de l’intrigue, finissant de dénouer les derniers fils, avec son lot d’actions, clôturant la saga avec élégance (mais avec tout de même moins de panache que la première trilogie, il faut le reconnaître).

Les cœurs silencieux

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De Sophie Tal Men
Paru chez Albin Michel

Ce n’est pas un hasard si Sarah a choisi le métier d’infirmière : elle passe son temps à s’occuper des autres, jusqu’à s’oublier soi-même. Quand son beau-père, Pedro, perd brutalement la parole à la suite d’un AVC, elle décide d’être sa voix et de partir à la recherche de ses proches, avec lesquels il s’est brouillé depuis de nombreuses années. Tomas, un de ses fils, ne voit pas d’un bon œil cette intrusion dans sa vie et ne lui réserve pas l’accueil escompté…

Le point de départ est assez classique : suite à un AVC, Pedro réalise que la vie peut brutalement devenir courte et souhaite réparer les torts faits dans le passé à sa famille et par la même occasion apaiser ses remords. Il peut compter pour ce faire sur le soutien sans faille de Sarah, sa belle-fille, même si certaines rancunes s’avèrent plus que tenaces…
La difficulté à exprimer ses sentiments est au cœur de ce récit, avec un message intéressant autour de l’amour et du pardon, mais aussi du dépassement de soi.
L’intrigue est développée dans la douceur et la bienveillance, en explorant les émotions des uns et des autres. Le parti-pris des interlocuteurs multiples permet d’aller au fond des ressentis, offrant un ensemble émouvant. Si les personnages ne sont pas tous sympathiques, leur psychologie est bien travaillée. J’aurais aimé qu’ils assument plus leur face sombre ou qu’elle soit plus marquée, pour renforcer les nuances et leur donner plus de relief.
Un roman solaire, s’appuyant sur un contexte bien étayé, qui fait vibrer quelques cordes sensibles, tout en restant léger et détendant.