Monthly Archives: February 2024

La vie invisible d’Addie Larue

Standard

De V.E. Schwab
Paru chez Lumen

Une vie dont personne ne se souviendra… Une histoire que vous ne pourrez plus jamais oublier… Une nuit de 1714, dans un moment de désespoir, une jeune femme avide de liberté scelle un pacte avec le diable. Mais si elle obtient le droit de vivre éternellement, en échange, personne ne pourra jamais plus se rappeler ni son nom ni son visage. La voilà condamnée à traverser les âges comme un fantôme, incapable de raconter son histoire, aussitôt effacée de la mémoire de tous ceux qui croisent sa route. Ainsi commence une vie extraordinaire, faite de découvertes et d’aventures stupéfiantes, qui la mènent pendant plusieurs siècles de rencontres en rencontres, toujours éphémères, jusqu’au jour où elle pénètre dans une petite librairie à New York : et là, pour la première fois en trois cents ans, l’homme derrière le comptoir la reconnaît. Quelle peut donc bien être la raison de ce miracle ? Est-ce un piège ou un incroyable coup de chance ?

Tout d’abord, je tiens à avouer que si ce livre m’a fait envie au départ, c’est pour sa couverture, qui a exercé (et exerce toujours) une très forte attractivité sur moi. Par ailleurs, le résumé était intrigant, parfois il n’en faut pas plus !

L’univers est intéressant et suffisamment élaboré pour tenir en haleine, sans toutefois être plein de surprise non plus, mais cela fonctionne très bien grâce notamment aux sauts de durée inégale dans différentes périodes du passé ou le présent, qui dévoilent les éléments importants petit à petit, pour tisser un canevas menant au dénouement. L’autrice en joue par ailleurs habilement, n’hésitant pas à donner des indices sur le futur ou le passé au fil du récit. Je pense toutefois que le background historique aurait mérité d’être plus fouillé pour gagner en profondeur. L’intrigue, naviguant entre réalité et fantastique, est sombre juste ce qu’il faut, l’ambiance bien installée. Addie est quant à elle un personnage très attachant qui attire immédiatement la sympathie du lecteur, mais les personnages « secondaires » sont également intéressants. L’arrivée d’Henry dans l’intrigue est d’ailleurs la bienvenue pour éviter une éventuelle lassitude et bien relancer tout cela.
J’ai absolument adoré les œuvres d’art présentées en début de partie, puis retrouver leur origine dans le récit. Je suis particulièrement sensible aux textes abordant les arts et j’ai trouvé cela particulièrement bien amené. Malheureusement, le rythme (tranquille) souffre de quelques longueurs, notamment sur la fin et un sentiment répétitif de déjà vu avec une situation qui n’évolue guère pendant un moment, avant un dénouement dynamique, qui parvient, peut-être, à surprendre (ce ne fut hélas pas mon cas). Ce bémol ne m’a pas empêchée de passer un bon moment de lecture…

La plus secrète mémoire des hommes

Standard

De Mohamed Mbougar Sarr
Paru chez Philippe Rey

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le Labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de ” Rimbaud nègre “, depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T. C. Elimane, où il affronte les grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?
D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

La plus secrète mémoire des hommes a suscité énormément d’intérêt à sa sortie avec de nombreuses sélections à des prix littéraires. Il sera lauréat du Goncourt 2021.
Aucun doute, l’auteur est brillant, cultivé (Il a d’ailleurs la bonne idée de ne pas étaler sa culture à mauvais escient, merci !) et son roman est extrêmement bien construit, sans aucune entrave quelle qu’elle soit dans les choix qui sont faits, pour un résultat très original. Avec La plus secrète mémoire des hommes, on part pour une grande épopée qui nous offre une aventure hors du commun dans le cadre d’une quête au long cours pour retrouver le mystérieux auteur d’un seul et unique roman désormais introuvable qui, après avoir initialement séduit, a été ensuite décrié et voué aux gémonies…
Sous une apparence inoffensive de quête littéraire et une belle ode à la littérature, ce roman s’interroge sur la place de l’écrivain, mais surtout sur le rapport entre la langue et la littérature françaises et la littérature francophone de ceux qui le sont devenus par la force, que l’on ne peut par conséquent qualifier de littérature étrangère tout en la considérant un peu comme telle.

Mon seul regret, finalement, serait qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage tout public. Il faut parfois s’accrocher un peu lors de la lecture de ce roman dense, mais il en vaut largement la peine !

L’âge du fond des verres

Standard

De Claire Castillon
Paru chez Gallimard jeunesse

Avant, la seule chose qui comptait, en âge, c’était celui du fond des verres. Et plus on était vieux, plus on était joyeux.
Avant, je n’avais pas remarqué que mes parents étaient deux vieillards.
Avant, mes copines m’enviaient parce que chez moi on avait le droit de jouer des maracas, de se déguiser avec les affaires de ma mère…
Mais maintenant, ce n’est plus comme avant. Je n’ai plus tellement envie de montrer mes parents. Tout a changé depuis que je suis en sixième.

Un roman qui aborde avec justesse plusieurs sujets de société : la différence, le regard des autres, l’adaptation à un nouvel environnement avec ses codes propres et ce terrible moment de bascule entre l’enfance et l’adolescence…
Guilène entre au collège, lieu où les règles sont différentes, où l’on se doit de tenir un rôle préétabli (qui évolue dans le temps) pour mieux se fondre dans la masse. En effet, les années collèges sont celles du « groupe » qu’il faut intégrer coûte que coûte.

Le récit est vu par les yeux de Guilène dont les anciennes certitudes sont bousculées et qui peine à se positionner entre ce qu’il faudrait faire et ce qu’elle aurait (secrètement) envie de faire, emportée par un bouillonnement d’émotions diverses et parfois contradictoires. Ce parti pris est intéressant car on sent particulièrement l’ambivalence et les hésitations qui l’assaillent.

Le roman évite habilement l’écueil de la moralisation ou du point de vue de l’adulte et délivre son message simplement mais avec une grande spontanéité, grâce à un texte léger, mais réfléchi et bien rythmé.

Les somnambules

Standard

De Chuck Wendig
Paru chez Sonatine

Un nouveau monde, le nôtre ?
Dans un petit village de Pennsylvanie, Shana surprend sa soeur, Nessie, quittant d’un pas résolu leur maison. Lorsqu’elle tente de l’intercepter, la petite fille ne réagit pas à sa présence. Mutique, absente, le regard vide, elle avance… Croyant à une crise de somnambulisme, Shana commence à la suivre. Rapidement, elles sont rejointes par un deuxième errant, frappé des mêmes symptômes que Nessie. Puis un autre. Bientôt, ils sont des centaines à converger vers la même destination inconnue, tandis que leurs proches, impuissants, leur emboîtent le pas. Très vite, cette mystérieuse épidémie enflamme le pays.

Un beau pavé dont le thème éveille l’intérêt : une pandémie et l’extinction de l’humanité.
La première partie est très intrigante, avec la découverte de la maladie et ses spécificités. La seconde traîne un peu en longueur au départ (dommage), puis s’enflamme ensuite, jusqu’à la fin.
Cette bérézina sanitaire se heurte à des comportements extrémistes, notamment de suprémacistes blancs bien organisés et équipés, pour apporter suffisamment de suspense et d’action.
Si les méchants sont très méchants, les « gentils » en revanche sont plus en demi-teinte, la situation pouvant révéler le meilleur comme le pire de chacun, sans éviter des trahisons, bien sûr. Des personnages intéressants et humains, plutôt bien construits qui servent parfaitement l’alternance de points de vue et enrichissent le récit.
Merci à l’auteur pour la toute fin qui était celle que j’attendais (je n’en dis pas plus), cela aurait été dommage de ne pas aller jusque-là !

Vainqueuse

Standard

De Jean-Laurent Del Socorro
Paru chez l’Ecole des loisirs

Cynisca est une princesse de Sparte, le sang d’Héraclès coule dans ses veines. Éduquée comme un homme depuis l’âge de sept ans, elle est aujourd’hui une combattante d’exception, qui rêve d’un triomphe à sa mesure. Mais, confrontée à l’absurdité de la guerre, elle s’interroge. Qu’y a-t-il de glorieux ou de juste à prendre une vie ? N’y a-t-il pas d’autres batailles à mener et d’autres victoires à offrir à la déesse Orthia, comme elle s’y est engagée ? Depuis que la divinité du monde sauvage l’a mise au défi de battre un cheval à la course, Cynisca est devenue la meilleure cavalière de la cité. Et si c’était là le moyen d’entrer dans la légende ?

Ce récit en deux parties (tout d’abord pendant l’enfance et la jeunesse de Cyniska, puis lorsqu’elle est âgée d’une quarantaine d’années) nous présente une princesse sparte oubliée par l’Histoire, qui vit selon ses convictions et force le respect.
La plume est agréable et l’histoire bien construite, avec un fort message féministe délivré tout en délicatesse et une pincée de fantastique, qui s’intègre bien dans les pratiques de l’époque. L’ambiance et l’environnement historique sont très bien rendus, peut-être avec une part d’interprétation de la part de l’auteur car la Sparte antique ne date pas d’hier… Ce dernier nous explique par ailleurs ses choix et son mode de fonctionnement dans un petit mot de fin intéressant (assorti d’une bibliographie de référence). Le résultat est réussi et propose au lecteur une véritable plongée dans la Sparte antique et le conflit qui l’oppose à Athènes.
Les nombreux poèmes de poétesses antiques constituent par ailleurs un petit “bonus” fort agréable.

Un roman très immersif, qui fonctionne bien…