Monthly Archives: January 2024

Les longueurs

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De Claire Castillon
Paru chez Gallimard

« Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t’a fait un sale coup? Je peux t’aider? Je te dépose au collège? »
Outre noire. Peinture. Soulages. Cours d’art plastique avec Mme Peynat en salle 2B. Concentre-toi, Lili. Trouve la solution. Il y a toujours une voie de réchappe. Les mamans savent, à peu près. D’instinct, elles devinent. À peu près. La mienne sait que dans sa fille quelque chose ne marche plus.

Avec des mots simples, par la bouche d’Alice, Claire Castillon nous entraîne dans le quotidien d’une petite puis moins petite fille sous l’emprise d’un pédophile, un prédateur qui tisse sa toile patiemment, de façon implacable. Ce parti-pris narratif permet aussi de raconter « sans filtre » et, je trouve, renforce le propos, avec une grande justesse, sans pour autant tomber dans la facilité. Le fait d’aborder les faits du point de vue de l’enfant change totalement la perception de la situation.

Le roman décrit des mécanismes implacables, prenant Alice dans ses engrenages et laissant le lecteur sans souffle devant ce simple fait : personne n’a rien vu, cela pourrait arriver à tout moment autour de nous et on ne s’en apercevrait pas plus. Et pour en revenir à l’histoire qui nous est racontée, cela coupe le souffle parce que justement c’est arrivé et parce que ça dure dans le temps mais aussi et surtout parce que c’est insupportable.
Un sujet presque tabou ou tout au moins peu abordé en littérature (jeunesse) mais qui est admirablement traité par Claire Castillon. Si vous devez n’en lire ou faire lire qu’un sur le thème de la pédophilie et des relations incestueuses, ce sera celui-là…

Une saison pour les ombres

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De R. J. Ellory
Paru chez Sonatine

Nord-est du Canada, 1972. Dans cette région glaciale, balayée par les vents, où l’hiver dure huit mois, la petite communauté de Jasperville survit grâce au travail dans les mines d’acier. Les conditions de vie y sont difficiles. Au-delà du village, il n’y a rien. Juste une nature hostile, quelques ours, des loups. Aussi quand le corps d’une adolescente du village est découvert aux abords de la forêt, la gravité des blessures laisse supposer qu’elle a été victime d’une bête sauvage.
Ce sera en tout cas la version officielle. Et tout le monde prie pour qu’elle soit vraie. Mais, quelques temps plus tard, le corps d’une autre jeune fille est retrouvé.

Montréal, 2011. Le passé que Jack Deveraux croyait avoir laissé derrière lui le frappe de plein fouet lorsqu’il reçoit un appel de Jasperville. Son jeune frère, Calvis, est en garde-à-vue pour tentative de meurtre. De retour sur les lieux de cette enfance, qu’il a tout fait pour oublier, Jack découvre qu’au fil des années, l’assassin a continué à frapper. L’aîné des Deveraux comprend alors que la seule façon de mettre fin à cette histoire tragique est de se répondre à certaines questions, parfois très personnelles. Mais beaucoup, à Jasperville, préfèrent voir durer le mensonge qu’affronter la vérité.

R. J. Ellory est doué pour créer des romans d’ambiance et celui-ci l’est tout particulièrement. L’ambiance (sombre) est installée avec maîtrise et elle fonctionne admirablement bien. Une tension psychologique s’installe au fil des pages, tandis que nous observons Jack se débattre avec ses démons du passé alors que son présent part en miettes. C’est d’ailleurs ce personnage complexe qui va porter toute l’histoire. Celle-ci se déroulera autour de ses doutes, son vécu, ses émotions en alternant passé et présent.
L’intrigue se met en place tranquillement, prend le temps de poser le décor, puis avance tout aussi tranquillement. On n’est pas du tout dans un roman d’action ! Et pourtant, malgré l’atmosphère pesante et quelques longueurs tout de même, le récit est très prenant, porté par le talent d’Ellory. Le lecteur est happé, comme un papillon qui ne peut résister à la lumière, et entraîné loin loin.