Monthly Archives: September 2022

Arpenter la nuit

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De Leila Mottley
Paru chez Albin Michel

Kiara Johnson est une Noire-Américaine de 17 ans dont l’existence n’a rien à voir avec celle que sont censées vivre les filles de son âge. Habitant seule à Oakland, Californie, avec son frère aîné Marcus depuis que leur mère a été envoyée dans un centre de réinsertion, elle se démène au quotidien pour trouver de quoi payer les factures. Face à l’irresponsabilité de Marcus, tout entier dédié à son rêve de devenir rappeur, elle n’a comme sources de réconfort que sa meilleure amie Alé et le fils de sa voisine, Trevor, âgé de 9 ans, dont elle s’occupe quand sa mère disparaît sans prévenir. Mais lorsque le propriétaire de leur appartement menace d’augmenter le loyer, elle se retrouve à faire le trottoir, déterminée à survivre dans ce monde qui refuse de la protéger. Tout bascule le soir où Kiara monte dans la voiture de deux agents de police. Ces derniers lui proposent alors, en échange de sa liberté, un infâme accord qui va la propulser au cœur d’une violente tempête médiatique…

Premier roman de cette jeune autrice…
Il s’agit d’une fiction, au sens où Kiara, le personnage principal n’existe pas dans la vie réelle, et même temps presque d’une non-fiction parce que le récit est inspiré de faits réels et que tas de filles pourraient être Kiara. Des tas de filles qui se battent pour leur liberté, pour survivre au quotidien. Alors oui, Kiara choisit la voie de la prostitution et les bien-pensants diront “elle l’a cherché, elle n’a eu que ce qu’elle mérite”. Mais en fait non, personne n’a le droit d’exploiter une autre personne ou de profiter de sa faiblesse, et encore moins les forces de l’ordre qui devraient constituer au contraire un rempart contre les abus.
Si le thème central de l’intrigue (les ripoux) n’a rien de nouveau (mais tous les thèmes n’ont ils pas déjà abordés en littérature ?), la façon dont il est traité par les yeux et les ressentis de Kiara est en revanche intéressante, immersive et pleine d’émotions.
Il s’agit en effet avant tout de l’histoire d’une adolescente qui perd pied et que l’on accompagne dans sa noyade. Une presque femme mais pourtant pas tout à fait, qui doit gérer l’inconstance et l’égoïsme masculin. Dans ce roman, les hommes sont soit démissionnaires, soit profiteurs. La descente aux enfers lors de ce sacrifice de soi est longue, jusqu’à ce qu’on touche enfin le fond, que l’on remonte très lentement en espérant arriver peut-être à reprendre son souffle, avant de terminer sur une note un peu moins sombre.
L’écriture est fluide et l’intrigue bien dosée. Malgré son côté un peu glauque et sa noirceur qui n’épargne rien au lecteur et le prend aux tripes, c’est un roman très immersif qu’il est difficile de lâcher et qu’il sera difficile d’oublier.

Mémoires de la forêt – Les souvenirs de Ferdinand Taupe

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De Mickaël Brun-Arnaud
Paru chez Ecole des loisirs

Dans la forêt de Bellécorce, au creux du chêne où Archibald Renard tient sa librairie, chaque animal qui le souhaite peut déposer le livre qu’il a écrit et espérer qu’il soit un jour acheté. Depuis que ses souvenirs le fuient, Ferdinand Taupe cherche désespérément à retrouver l’ouvrage qu’il a écrit pour compiler ses mémoires, afin de se rappeler les choses qu’il a faites et les gens qu’il a aimés. Il en existe un seul exemplaire, déposé à la librairie il y a des années. Mais justement, un mystérieux client vient de partir avec… À l’aide de vieilles photographies, Archibald et Ferdinand se lancent sur ses traces en forêt, dans un périple à la frontière du rêve, des souvenirs et de la réalité.

L’histoire met en scène des animaux (en s’appuyant sur des illustrations magnifiques) mais est loin d’être gnian-gnian pour autant. Il est ici question d’Alzheimer (la terrible maladie de l’Oublie Tout), d’amitié, de drames de la vie. Ces thèmes sont toutefois amenés tout en douceur et en délicatesse et ça passe super bien ! Le texte est un concentré de tendresse, de sensibilité et de bienveillance. On sent la belle personne transparaître de l’autre côté de la plume. Libraire de son état (tout comme son personnage principal, Archibald alias Maître Renard), Mickaël Brun-Arnaud a également été soignant dans une autre vie et cela se sent. Tout onirique qu’il est, le récit est également ancré dans la réalité et parfaitement crédible. Pour autant, tout cela est mis à la portée du jeune lecteur. Avec une intrigue qui sait ménager ses effets de suspense et une quête passionnante pleine de mystères, les jeunes lecteurs vont se régaler !
Pour ma part,  je le range au rayon coups de cœur 2022.

Annie au milieu

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Emilie Chazerand
Paru chez Sarbacane

Velma et Harold sont le frère et la sœur d’Annie.
Annie est « différente ». C’est comme ça que les gens polis disent. Elle a un chromosome en plus. Et de la gentillesse, de la fantaisie, de l’amour en plus, aussi. Elle a un travail, des amis et une passion : les majorettes.
Et Annie est très heureuse parce que, pour la première fois, sa troupe aura l’honneur de défiler lors de la fête du printemps de la ville. Mais voilà, l’entraîneuse ne veut pas d’elle pour cet événement : elle n’est pas au niveau, elle est dodue… Bref : elle est « différente ». C’est bête et méchant. Ça mord Annie et les siens, presque plus. Alors, qu’à cela ne tienne : Annie défilera, avec son équipe brinquebalante, un peu nulle mais flamboyante. Ses majorettes un peu barjo. Ses barjorettes, quoi.

Contrairement à ce que le résumé peut laisser entendre, ce roman n’est pas sur le thème des majorettes, mais plutôt sur celui de la famille, de l’ouverture aux autres, de l’acceptation de soi, de la différence, entre autres…

Grâce à la construction narrative qui donne la parole tour à tour aux trois enfants de la fratrie, le ton reste juste et le point de vue alternatif enrichit vraiment le propos. On a ainsi le ressenti de chacun, tout en continuant en permanence à aller de l’avant. Les personnages sont par ailleurs très bien campés, chacun dans leur style, malgré quelques traits trop caricaturaux un peu gênants par moments.

L’intrigue quand à elle ne faiblit jamais, grâce notamment à cette construction narrative, car chacun a ses soucis amenant leur lot de péripéties. Servi par une plume légère qui manie l’humour avec habileté, le récit est lumineux, malgré le thème, et la lecture agréable, dans un esprit feel good.

Rien d’étonnant, par conséquent à ce que Annie au milieu déclenche autant de coups de coeurs. Ce n’est pas mon cas, malgré un texte touchant et plaisant  à lire. Certains traits caricaturaux sont un peu gênants par moments et certaines (trop grosses) coïncidences ne le sont pas moins. En outre, quelques points (notamment concernant Harold) manquent de crédibilité. Malgré tout, c’est chouette de voir ce thème abordé et bien traité.

La mer sans étoiles

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Erin Morgenstern
Paru aux éditions Sonatine

“Aucune histoire ne s’achève jamais vraiment tant qu’elle continue à être racontée.”

Dans la bibliothèque de son université, Zachary Ezra Rawlins trouve un livre mystérieux, sans titre ni auteur. Découvrant avec stupéfaction qu’une scène de son enfance y est décrite, il décide d’en savoir davantage. C’est le début d’une quête qui le mènera à un étrange labyrinthe souterrain, sur les rives de la mer sans Étoiles. Un monde merveilleux fait de tunnels tortueux, de cités perdues et d’histoires à préserver, quel qu’en soit le prix…

Certains romans ont tout pour être aimés. Celui-ci m’a tout de suite interpellée par sa quatrième de couverture. Un roman pile dans mon univers, parlant d’histoires, d’imaginaire… La perspective d’un bonheur total et sans concession ! Je m’y suis donc attelée dans la joie et la bonne humeur.

Force a été de constater rapidement que la plume est exigeante. Très onirique et bourrée de métaphores ainsi que de références, elle séduit d’abord, puis finit par donner une sensation d’exagération. Le roman est assez long et certains passages relativement lents, ce style d’écriture, bien qu’agréable en soi, ne favorise donc pas la fluidité de lecture sur le long terme.
Concernant l’intrigue, l’esprit de la lectrice pourtant peu cartésienne que je suis a paniqué assez rapidement devant le schéma narratif. Ces bribes d’histoires dans l’histoire apparemment sans queue ni tête, cette aventure très mystérieuse qui démarre par ailleurs avec Zachary… L’objectif semble être de désorienter la Lectrice pour mieux la promener ensuite. Le but est atteint ! Cette première surprise passée, il est agréable de plonger dans cette marée d’histoires qui finissent par converger plus ou moins (parfois moins que plus), avant d’emprunter de nouvelles ramifications. Au royaume de l’imaginaire, la Lectrice devient la reine des spectatrices. Hélas, en s’abandonnant, elle s’est un peu perdue en chemin. Difficile de suivre le fil d’Ariane dans ce labyrinthe en spirale qui nous entraîne toujours plus profond sous la Terre, entremêlant passé, présent, futur et moments imaginaires, jouant avec les mises en abyme jusqu’à un final énigmatique comme une ultime désillusion douce-amère.

Si le récit est poétique et offre des possibilités infinies, il est malheureusement bien trop alambiqué. C’est trop. Trop quoi ? Trop tout, finalement. Et pourtant la Lectrice est captivée…  Certes, mais pas totalement envoûtée pour autant.
Il me restera de cette lecture le bonheur d’avoir pénétré un univers “magique” et le regret de ne pas avoir su vraiment trouver mon chemin dans ce labyrinthe. D’autres y parviendront sans doute mieux.

Comprendre la littérature de jeunesse

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de Vincianne D’Anna, Daniel Delbrassine, Björn-Olaf Dozo et Valérie Centi
Paru chez l’Ecole des loisirs

Du premier livre que l’enfant découvre aux livres numériques pour les ados, cet ouvrage de formation propose des repères théoriques et des grilles d’analyse pour mieux comprendre les spécificités de la littérature dédiée à la jeunesse. Que l’on soit professionnel des métiers du livre ou simplement curieux de cette première culture essentielle aux enfants, cet ouvrage donne des pistes pour accompagner, transmettre et apprendre à se repérer dans ce paysage littéraire riche. Outre les repères historiques et une très vaste bibliographie, sont abordés les spécificités de l’album ou du roman mais aussi tout ce qui permet aujourd’hui d’entrer dans les histoires via le numérique ou l’audio.

Le Mooc Il était une fois la littérature de jeunesse organisé par l’Université de Liège a eu tellement de succès qu’il se décline désormais sous forme de livre.
Cet ouvrage didactique, qui se pose en introduction à la littérature de jeunesse,  a un spectre assez large, à même de passionner ses lecteurs. Pour autant, il s’adresse, je pense, en priorité aux professionnels du livre (ou à ceux qui aiment vraiment aller au fond des choses et s’intéressent au sujet).
Avec ses six chapitres, le livre est complet et riche. Par ailleurs, il est clair et suffisamment concis pour ne pas devenir soporifique, ce qui est un très bon point : c’est toujours préférable d’aller à l’essentiel. Enfin, il propose plusieurs interviews très intéressantes pour étayer le propos ainsi que des petits quizz en fin de partie, pour un moment ludique.
Comprendre la littérature de jeunesse sait donc parfaitement toucher sa cible grâce à des informations pertinentes, intéressantes et accessibles.
Il constitue un véritable ouvrage de référence sur le sujet !