Monthly Archives: October 2020

L’âge des possibles

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Marie Chartres
Paru chez L’Ecole des loisirs

En tant qu’Amish, Saul et Rachel ont un avenir tout tracé. Leur rumspringa, cette parenthèse hors de la communauté, leur permet de découvrir le monde moderne pour le rejeter en toute connaissance de cause. De son côté, Temple doit quitter son cocon pour rejoindre sa soeur à Chicago, mais elle est paralysée par la peur.

Soyons clairs, ce n’est pas un roman à suspense ni trépidant et pourtant, quelle intensité ! On visite une grande ville, Chicago, mais avec les yeux de trois jeunes gens un peu particuliers. L’autrice a choisi d’alterner les points de vue et on passe de l’un à l’autre. Trois voix intérieures de personnes qui s’étonnent, qui s’interrogent, qui se cherchent, qui se perdent aussi parfois face à l’inconnu.
Pour Saul et Rachel, cette rumpsringa est l’occasion de découvrir le monde, de faire des expériences, afin de confirmer leur choix de rester dans leur communauté Amish. Pour Temple, il s’agit de dépasser ses peurs et d’affronter le monde et l’inconnu. Perdus dans Chicago, leur rencontre et ces deux journées passées ensemble bouleverseront durablement leur vie et leurs envies.
Ce texte tellement lumineux est une ode à la liberté, celle de faire ses propres choix et celle d’exister, mais aussi celle de pouvoir passer outre à la pression (bien ou malveillante) que peuvent exercer des proches et la société dans son ensemble. C’est un récit qui fait du bien car il est empreint de bienveillance. Pas du feel-good mièvre, mais une réelle bienveillance qui fait du bien, comme un rayon de soleil sur la peau.
Le récit, dont les grandes lignes sont pourtant annoncées, parvient à surprendre. On ne s’attend pas à y trouver cette poésie, cette délicatesse et je reconnais bien là la plume sensible de Marie Chartres… Elle parvient à concilier dynamisme et douceur dans cette intrigue qui est tout sauf plate alors qu’en fin de compte il ne s’y passe pas énormément de choses en soi.
Le seul bémol ira à la fin, un peu abrupte et précipitée, un peu amère aussi, pas tout à fait dans le ton. Mais il ne tient qu’à nous d’imaginer la suite de la suite comme nous le souhaitons !

En ce qui me concerne, cette lecture est un gros coup de cœur.

The wicked deep – La malédiction des soeurs Swan

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Shea Ernshaw
Paru chez Rageot

C’est une histoire de vengeance… Il y a près de deux siècles, Marguerite, Aurora et Hazel Swan, trois jeunes femmes belles, libres et indépendantes, furent accusées de sorcellerie par les habitants de la ville de Sparrow. Des pierres accrochées aux chevilles, les trois sœurs furent noyées. Exécutées. Depuis ce jour, chaque année au mois de juin, les sœurs Swan sortent des eaux de la baie pour choisir trois jeunes filles, trois hôtes. Dans le corps de ces adolescentes, Marguerite, Aurora et Hazel reviennent se venger. Et cette année encore, Penny le sait, alors que les touristes afflueront, on retrouvera des cadavres de jeunes hommes sur la plage… Car cette malédiction, rien ne semble pouvoir l’arrêter.

Évidemment, entre la couverture qui claque bien et le résumé particulièrement aguichant, difficile de résister à cette lecture. The wicked deep est un vrai page turner. Il se dévore d’une traite.

La rudesse du climat, ainsi que l’environnement brut et peu amène contribuent à installer une ambiance comme je les aime. Par ailleurs, le mystère omniprésent et le personnage de l’héroïne, sauvage et ombrageuse, renforcent la magie de la lecture.

Malgré tout, il faut reconnaître quelques faiblesses à l’intrigue qui aurait pu mieux faire. Le passé n’est pas assez exploité à mon goût et le présent aurait mérité d’être plus développé également. On tourne beaucoup trop autour du thème initial au lieu de le creuser plus en profondeur. A cela s’ajoutent quelques transitions faciles… C’est vraiment dommage car il y avait définitivement matière à quelque chose de très réussi. Tous les ingrédients sont là. Cela n’en reste pas moins une lecture agréable (et addictive).

Sœurs d’Ys – La malédiction du Royaume englouti

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De M. T. Anderson et Jo Rioux
Paru chez Rue de Sèvres

Pour ériger les remparts qui protègent Ys des flots tumultueux, la reine Malgven a eu recours à la magie. Sa mort brutale et mystérieuse laisse ses deux filles inconsolables et les éloigne l’une de l’autre. Rozenn, héritière du trône, entre en communion avec la nature et s’apaise dans les landes ; Dahut, la cadette, se délecte de la vie fastueuse de la cour et se compromet dans ses intrigues. Mais derrière les murs immenses de la cité se cache un passé lourd de sombres secrets. Le jour où le lien entre les sœurs se rompt définitivement, elles entraînent dans leur chute le destin d’Ys, et les monstres tapis dans l’ombre surgissent alors en pleine lumière.

Une couverture sublime et le thème de la cité engloutie d’Ys, il n’en fallait pas plus pour me séduire et je ne suis certainement pas la seule. L’histoire est envoûtante, avec beaucoup de magie. Plutôt sombre et définitivement empreinte de mystère.

On se détache ici un peu de la version “christianisée” la plus connue de cette histoire. L’inconnu vengeur n’est pas dépeint sous les traits classiques du diable. Il agit car le contrat est rompu et non seulement pour laver les péchés de la ville. On garde malgré tout le côté chrétien des péchés à punir, avec notamment Dahut qui représente le Mal. La présence assez marquée de Saint Corentin n’est pas anodine non plus. Les auteurs s’appuient sur différentes versions de la légende et ont conservé (fort heureusement car cela contribue à mettre en place une ambiance particulière) la féérie et la sorcellerie par le biais de Malgven, la femme d’un Autre Monde. Cela permet de garder également l’opposition entre la religion païenne et le christianisme, tout en gommant les frontières entre elles. Les éléments teintés de religion tendent à s’estomper. Ici rien n’est complètement blanc ou noir, preuve s’il en faut du côté contemporain de cette version. Par ailleurs, la présence ici de Rozenn (en référence à l’opéra d’Edouard Lalo ?) met magnifiquement en valeur cette légende. Faisant preuve de constance et de droiture, elle prend efficacement le relais du père, qui est finalement un personnage plus ambigu. Les deux sœurs que tout oppose sont au cœur du récit. L’accent est mis sur les sentiments et les émotions… Le mythe continue donc son évolution, dans cette version moderne, au scénario riche et tout à fait convaincant. C’est une excellente chose, pour une légende initialement transmise par tradition orale !

Les illustrations sont grandioses avec des décors qui titillent l’imagination. Même si le style ne colle pas tout à fait avec mes goûts graphiques (notamment les personnages), l’ensemble m’a embarquée. Les illustrations ont une grande force suggestive, le texte (concis) semble être uniquement là pour les accompagner et non l’inverse.

Ce roman graphique est à découvrir de toute urgence, que l’on connaisse déjà cette vieille légende ou pas.

Sauveur & fils saison 6

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De Marie-Aude Murail
Paru chez l’Ecole des loisirs

Jamais une psychothérapie n’a autant ressemblé à une enquête policière que dans cette saison 6. Qui est cet homme qui veut être reçu à 7 heures du matin au 12, rue des Murlins et qui a l’air de connaître la maison de Sauveur comme s’il y avait déjà vécu ? D’où vient Gilbert le Démon qui persécute la jeune Sarah en lui criant à l’oreille des insanités ? Pourquoi Ghazil Naciri a-t-elle volé une clé dans le sac de sa prof de SVT ? Qu’est-ce que Kimi va faire de ce revolver qui lui est tombé entre les mains ? Et Jovo, mythomane ou psychopathe ? Va-t-on enfin connaître son passé ? Si vous n’avez pas toutes les réponses en saison 6, c’est qu’il y aura une saison 7.

A chaque tome je me dis que j’arrête pour ne pas gâcher (ça m’embêterait franchement car c’est une saga que j’affectionne particulièrement) et puis je cède… C’est un peu une série doudou. On s’attache très vite aux personnages, avec leurs qualités et leurs défauts, et c’est agréable de les retrouver, dans un cadre familier.

Si les deux derniers tomes étaient un peu en-dessous, celui-ci renoue avec la veine des débuts, avec notamment un premier chapitre extrêmement réjouissant ! Après cette ouverture fantastique, le récit coule tout seul, plutôt centré cette fois sur le travail de Sauveur. Comme chaque fois, l’autrice nous embarque. Mêlant habilement humour et petites vérités, elle nous offre un récit plein de tendresse et de délicatesse. Elle sait viser juste. Les réflexions font mouche, sans être moralisatrices. On se régale !
Si vous n’avez pas encore commencé cette saga, n’hésitez pas et si vous n’étiez pas sûr de poursuivre, n’hésitez pas non plus !

L’étrange bibliothèque

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d’Haruki Murakami
Illustré par Kat Menschik
Paru chez 10/18

Japon, de nos jours. Un jeune garçon se rend à la bibliothèque municipale. Jusqu’ici, rien que de très banal, le garçon est scrupuleux, il rend toujours ses livres à l’heure. Cette fois, pourtant, rien ne se passera comme prévu…
Entre rêve et cauchemar, Haruki Murakami nous livre une nouvelle inédite, hypnotique, grinçante, superbement mise en images par la talentueuse illustratrice allemande Kat Menschik.

Ce petit conte initiatique que je qualifierais de philosophique est fascinant. Sous ses dehors farfelus et fantastiques, qui peuvent évoquer un cauchemar entremêlant imaginaire et réalité, transparaissent des thèmes plus sérieux comme le formatage des individus, la perte d’identité, le respect des règlements et de la bienséance, ainsi que le bien-fondé (ou pas) de l’éducation en les remettant bien sûr en cause. Le cadrage bien serré sur les émotions et les sensations du personnage principal contribuent à l’étrangeté de la situation pour mieux embobiner le lecteur. Tout ce qui pourrait interférer est gommé, pour aller ici à l’essentiel, permettant par là-même à l’absurde de s’inviter.

Les illustrations qui accompagnent le récit sont très travaillées et utilisent des filigranes et vernis sélectifs pour un effet saisissant. Elles accompagnent à merveille cette histoire sombre et angoissante.

Une lecture courte qui, pourtant, laisse une empreinte très forte, sans faire la morale ni donner de réponses concrètes mais en poussant à se questionner.