Monthly Archives: November 2020

La cigale du huitième jour

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De Mitsuyo Kakuta
Paru chez Actes sud

Une jeune femme court dans les rues de Tokyo, un bébé dans les bras. Cette enfant n’est pas la sienne ; sans préméditation, elle vient de la voler.
Dès lors, la vie de Kiwako n’est plus qu’une longue cavale à travers l’Archipel. Paniquée à l’idée de se faire repérer, elle change toujours plus vite d’endroit et d’identité, emportant l’enfant dans l’instant, la déracinant chaque fois plus violemment.
Et pourtant, tout demeure absolument doux entre la jeune femme et la petite. Étrangement, la complicité qui s’installe entre elles ne cesse de s’intensifier, la peur et l’insécurité n’entament pas ce bloc de tendresse, cette harmonie dans laquelle nul témoin ne peut déceler la moindre faille.

Je connais assez mal la littérature japonaise, d’où mes récentes lectures. Tout comme dans Les mémoires d’un chat chroniqué en début de semaine, l’autrice utilise alternativement les prénoms ou noms de famille mais cela ne m’a plus gênée cette fois-ci. Dans les deux cas, ces romans se démarquent des romans occidentaux auxquels je suis habituée. Il y a un je ne sais quoi, une façon de raconter différente, une façon de voir les choses différentes et dans les deux cas (mais c’est peut-être le hasard), une belle poésie omniprésente.

Même si La cigale du huitième jour n’est pas un roman d’action, le suspense est bien présent et entretenu, les émotions sont au cœur du récit et c’est raconté avec délicatesse. L’autrice prend le parti de ne pas décrire la kidnappeuse comme un monstre et même de la rendre sympathique au lecteur. Elle nous montre que même si son acte est répréhensible, les circonstances qui l’ont poussée à le faire peuvent l’expliquer et pire, elle laisse entendre que l’enfant y a gagné, avant de basculer sur la dernière partie. Cela va bien sûr à l’encontre de la morale avec un grand M mais les arguments avancés font mouche !

C’est vraiment une très belle histoire dans laquelle chaque personnage se bat contre ses démons en solitaire…
Un récit très prenant et une belle expérience de lecture, en accord parfait avec sa mystérieuse et envoûtante couverture.

Les mémoires d’un chat

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Hiro Arikawa
Paru chez Actes sud

Un changement dans la vie de Satoru fait qu’il doit se séparer de Nana, son chat adoré. Débute alors une série de voyages chez des amis d’enfance, aux quatre coins du Japon, pour lui trouver un nouveau foyer. Mais le rusé matou, narrateur de ce savoureux roman, ne l’entend pas de cette oreille : il fera tout pour rester avec Satoru et prolonger l’aventure.

L’alternance de points de vue et d’utilisation des prénoms/noms sans crier gare est un peu déstabilisante au départ, d’autant que le ton reste exactement le même, que ce soit le chat qui parle ou quelqu’un d’autre et on saute de la première à la troisième personne sans sourciller ce qui est assez déroutant.

Ceci mis à part, le ton, léger, est agréable. L’histoire en elle-même se dévoile petit à petit, en alternant les flash-backs qui dévoilent le passé de Satoru, personne solaire très fidèle en amitié. Le personnage se dessine peu à peu et de sympathique, il devient franchement attachant. Le chat (qui raconte l’histoire) évolue également et sous ses dehors gouailleurs, laisse effleurer sa sensibilité.
Lorsque le passé rejoint le présent (annoncé par petites touches), le récit est très émouvant et plein de poésie. La fin est particulièrement touchante…
Les mémoires d’un chat est une ode à l’amitié et à l’amour partagé entre un animal et son “maître”. Une petite merveille tout en délicatesse, qui fait passer du rire aux larmes. L’autrice fait preuve d’une grande tendresse envers ses personnages, c’est très beau.

On ne coupe pas les pieds d’une jeune fille

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De Taï-Marc Le Thanh
Paru chez L’Ecole des loisirs

À quoi ça tient l’existence ? À une bulle d’air. Une note de musique. Aux amis et aux compagnons d’infortune. À l’imagination. Au combat de chaque jour. Ce combat, Nola le mène depuis qu’à la suite d’une opération à l’hôpital ses jambes ne répondent plus correctement. Mais elle n’est pas seule : dans sa tête, il y a un clown, un avion avec un pilote, et un Soldat. Ensemble, à l’assaut de la vie !

Je suis plutôt fan de cet auteur et j’avais envie de découvrir ce qu’il peut proposer dans un autre registre avec ce récit contemporain.
Ma foi, il s’en sort bien et toute la sensibilité cachée sous la clownerie ressort pour l’occasion. Taï-Marc Le Thanh fait évoluer son héroïne avec une grande tendresse, voire avec amour. On retrouve également quelques situations loufoques comme il les affectionne et des moments tout à fait drôles. C’est le thème affiché : ici on ne se laisse pas abattre et on résiste à l’adversité !

Les personnages sont formidablement attachants, le rythme dynamique et le ton guilleret. Une tranche de vie agréable à partager le temps d’une lecture.
Malgré ces qualités indéniables, ce roman souffre malgré tout de quelques imperfections avec quelques situations improbables, transitions bancales et petites longueurs. La lecture reste tout de même sympa, mais le coup de cœur n’est pas au rendez-vous.

Dans la forêt

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De Jean Hegland
Paru chez Gallmeister

Rien n’est plus comme avant : le monde tel qu’on le connaît semble avoir vacillé, plus d’électricité ni d’essence, les trains et les avions ne circulent plus. Des rumeurs courent, les gens fuient. Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au cœur de la forêt. Quand la civilisation s’effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours vivantes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l’inconnu, il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, emplie d’inépuisables richesses. Considéré comme un véritable choc littéraire aux États-Unis, ce roman sensuel et puissant met en scène deux jeunes femmes qui entraînent le lecteur vers une vie nouvelle.

Un roman déroutant, comme c’est souvent le cas chez Gallmeister.
Du côté de la forme, j’ai trouvé le style d’écriture dérangeant au départ et pas très agréable et puis on s’y fait car c’est bien écrit tout de même. Passé cet écueil, le fond est extrêmement intéressant. En résumé : deux jeunes femmes se retrouvent livrées à elles-mêmes au cœur d’une forêt et doivent subsister. Mais Dans la forêt offre bien plus que cela.

Le récit donne en effet lieu à un gros plan sur Nell et Eva, ainsi que sur leur relation, leurs ressentis et leur façon de faire face d’abord au deuil familial, puis plus largement au deuil de la « vie d’avant ». On n’en sait pas plus sur ce qui a provoqué cet effondrement, ici seul le résultat et la situation qui en découle importent. Et finalement c’est effectivement ce qui est primordial, pour pouvoir aller de l’avant. Si on parle bien d’évolution, elle est différente de ce que l’on prête à ce terme en général. Il ne s’agit pas d’aller vers plus de technologie et de progrès mais au contraire de retourner aux sources. Une sorte de désapprentissage pour réapprendre, avancer et gommer le superflu. Ce changement n’ayant pas été voulu par les personnages, qui le subissent de plein fouet, il est très long. Ainsi, de menaçante, la forêt devient nourricière. De passives, Nell et Eva deviennent actives.
Le final est en accord avec toute cette évolution et laisse le lecteur songeur quant au dénouement qu’il aurait souhaité…

C’est un roman équilibré qui nous mène exactement là où le souhaitait l’autrice. Bien joué ! Lu en période de confinement, dans une situation sanitaire dégradée et peu propice à l’optimisme, ce roman SF peut prendre par moments une résonance particulière…  

Semaine “classiques qui font peur” – Frankenstein

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De Mary Shelley
Paru chez Ecole des loisirs, classiques abrégés

16 juin 1816. L’orage gronde. Dans une ville cachée au milieu des arbres, sur les bords riants du lac de Genève, une petite société s’ennuie. Il y a deux poètes, Byron et Shelley, leurs compagnes, Claire et Mary, un médecin, Polidori. On se raconte d’horribles histoires, selon la mode du temps. On décide même d’en écrire. Dans la nuit, la jeune Mary – elle n’a pas encore 19 ans – ne peut dormir : elle rêve d’un hideux fantasme d’homme. Quelques jours plus tard naissent Victor Frankenstein et sa créature. Récit d’une inquiétante nouveauté, vite porté à la scène, très souvent ensuite à l’écran. Devenu si mythique que, dans l’esprit du public qui a oublié Mary Shelley, le créateur et sa créature se sont confondus.

Croyez-le ou non, je n’avais jamais lu Frankenstein. Il faut dire que je ne suis pas ultra fan du genre Horreur. C’était un tort car c’est une excellente histoire. Ici l’horreur est à tout à fait acceptable, d’autant plus qu’elle est véritablement intégrée dans un récit à part entière. C’est d’ailleurs le point fort de ce roman qui ne contente pas de raconter une histoire qui fait peur, mais qui le fait bien, avec de belles formes et qui va plus loin, avec des thèmes intéressants. Ici personne n’est totalement parfait ni imparfait. Le créateur, d’abord aveuglé par l’ambition se repend ensuite mais ne brille pas par son action pour réparer ses actes. La créature n’est quant à elle pas si mauvaise dans le fond. C’est d’ailleurs intéressant de constater que le monstre est invariablement repoussé pour sa laideur, associée au mal, alors qu’il est animé de bonnes intentions au départ (un peu moins plus tard…). Le lecteur est amené à s’interroger : qui de la créature ou du créateur est le monstre ? La réponse varie au fil du récit…

Il faut tout de même avouer que c’est un peu étrange que le monstre s’exprime comme un philosophe mais ça peut se tenir si l’on considère la façon dont il fait ses apprentissages et il faut donc saluer le fait que ce point n’ait pas été remis au hasard. Cela permet également de garder un niveau de langage soutenu dans l’ensemble du texte. Par ailleurs, cela a tendance à renforcer son “humanité” et donc le propos.

Un dernier point important : il s’agit ici d’une nouvelle traduction (et arrangement) de la dernière version remaniée par l’autrice. Pour ce genre de lecture, je pense que c’est important de repartir de la base. L’adaptation de Malika Ferdjoukh est ici très bien faite. Le récit va de l’avant, est compréhensible, tout en respectant le manuscrit original…
Un classique au récit abordable et passionnant ! D’ailleurs mon collégien ne s’y est pas trompé et a adoré.

Semaine “Classiques qui font peur” – La mare au diable

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de Georges Sand
Paru chez Librio

La Mare au Diable est un lieu maudit où souffle l’angoisse. Près d’elle se déroule toute l’histoire. Un paysan, veuf avec ses enfants, cherche femme. Qui épousera-t-il ? celle qu’on lui a promise, ou une pauvre paysanne, harcelée par son patron? Cette petite Marie est l’âme d’un paysage de rêve, et l’emblème de l’enfance éternelle.
Un roman d’amour, mais traversé par le cri des chiens fous, la nuée sanglotante des oiseaux, le fossoyeur épileptique. La voix de la terre s’y accorde avec celle de l’Âme enfantine : George Sand y parle avec force du sol natal et des premiers souvenirs.

Après deux chapitres introductifs ardus, dont on peut se demander l’intérêt en dehors de leur caractère introductif, l’histoire est brève mais intense même si elle reste sans surprise et ancrée dans une époque révolue. Le récit est plutôt prenant sous ses dehors naïfs. Bien sûr, les amateurs de frissons appâtés par le titre et le résumé resteront sur leur faim. Ici on est plus sur un roman d’amour (du terroir) et d’ambiance que sur un fantastique endiablé.
Un classique bien écrit et équilibré qui vaut la peine d’être lu si l’on parvient à franchir le cap des 26 premières pages. Par ailleurs, tout le côté “traditions paysannes” est également intéressant. Les plus jeunes auront toutefois du mal à suivre le fil de ces derniers chapitres explicatifs sur le mariage paysan…