Monthly Archives: January 2023

On était des loups

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De Sandrine Collette
Paru chez Lattès

Ce soir-là, quand Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser, il devine aussitôt qu’il s’est passé quelque chose. Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l’attend pas devant la maison. Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours. À côté, sous le corps inerte de sa femme, il trouve son fils. Vivant. Au milieu de son existence qui s’effondre, Liam a une certitude. Ce monde sauvage n’est pas fait pour un enfant. Décidé à confier son fils à d’autres que lui, il prépare un long voyage au rythme du pas des chevaux. Mais dans ces profondeurs, nul ne sait ce qui peut advenir. Encore moins un homme fou de rage et de douleur accompagné d’un enfant terrifié.

Waouh ! Quelle aventure que cette lecture introspective aux accents de quête initiatique… On suit le cheminement d’un homme asocial, taiseux et un peu fruste, un homme qui, habitué à survivre en pleine nature, prévoit toujours tout minutieusement, sauf l’imprévisible : le décès de sa compagne Ava. Un drame qui va le bouleverser irrémédiablement. D’autant qu’il reste l’enfant dont il ne sait que faire. Même si le récit est fait par la voix simple du personnage brut de décoffrage, il est d’une  intensité rare. La tension s’installe durablement au fil des pages, au point de bouleverser toutes les certitudes du lecteur qui ne sait pas trop où cette sombre aventure mènera. Sandrine Collette nous offre ici un très beau texte profond et extrêmement touchant, de ceux qui restent longtemps en mémoire…

Saga Blackwater

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De Mickael McDowell
Traduction Yoko Lacour et Hélène Charrier
Paru chez Monsieur Toussaint Louverture

Pâques 1919, alors que les flots menaçant Perdido submergent cette petite ville du nord de l’Alabama, un clan de riches propriétaires terriens, les Caskey, doivent faire face aux avaries de leurs scieries, à la perte de leur bois et aux incalculables dégâts provoqués par l’implacable crue de la rivière Blackwater.
Menés par Mary-Love, la puissante matriarche aux mille tours, et par Oscar, son fils dévoué, les Caskey s’apprêtent à se relever… mais c’est sans compter l’arrivée, aussi soudaine que mystérieuse, d’une séduisante étrangère, Elinor Dammert, jeune femme au passé trouble, dont le seul dessein semble être de vouloir conquérir sa place parmi les Caskey.

Il s’agit d’une saga en 6 tomes, publiée dans les années 80 en langue anglaise sous forme de feuilleton (et ayant connu un vif succès à l’époque), sortie en français par Monsieur Toussaint Louverture sous forme de romans de 250 pages en publications échelonnées, à raison d’un tous les 15 jours. Un rythme de parution original, offrant des livres aux finitions plus que soignées et originales, comme sait si bien le faire cette maison d’édition, dans une sorte de format poche de luxe. Les couvertures arborant des illustrations genre gravures à l’eau-forte anciennes sont superbes ! Le pari semble réussi car cette saga a beaucoup fait parler d’elle dès le début et continue visiblement à séduire des lecteurs de tous âges et de tous horizons littéraires, s’imposant par là comme l’un des événements littéraires majeurs de 2022.
L’intrigue de cette grande fresque familiale est elle aussi atypique et ponctuée d’éléments fantastiques, voire horrifiques. Cela peut donc conduire à classer Blackwater dans la case OLNI (objet littéraire non identifié) !
Le style et le scénario sont construits de manière à ménager le suspense et le mystère. La plume est totalement addictive et chaque tome se termine sur un cliffhanger (celui du tome 1 est assez extrême, les autres seront heureusement un peu plus doux avec le lecteur…) qui donne terriblement envie de se jeter sur la suite. La tension monte graduellement jusqu’au tome 3 où elle atteint un premier palier dans l’intrigue. En ce qui me concerne, les trois derniers tomes ne m’ont pas procuré autant de plaisir de lecture que les trois premiers qui alliaient à merveille découverte et tension savamment dosée. Ils restent néanmoins fort plaisants et on est ravis de continuer cette aventure auprès des Caskey, mais une page a tout de même été tournée.
Par ailleurs, même si le récit est ancré dans son contexte historique (qui vient habilement souligner cette fresque familiale étalée dans le temps), on soulignera que l’auteur était très en avance sur son temps car il n’hésite pas à créer des personnages de femmes fortes et de pouvoir, aborder l’homosexualité, mais aussi à briser les tabous concernant la condition des Noirs aux États-Unis.
J’ai pour ma part beaucoup aimé cette lecture, autant sur le fond que sur la forme et je recommande vivement cette saga !

Oscar Goupil, a London mystery

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Camille Guénot
Superbe couverture de Christel Epié
Paru chez l’Ecole des loisirs

Mes parents m’avaient laissé une lettre : je passerais mes vacances de fin d’année chez ma grand-tante Léonie, à Londres. Pas vraiment un cadeau, vu sa réputation. Et le train partait dans une heure. « Délicieusement excentriques » ? Complètement irresponsables, je dirais. Heureusement que je me débrouille en anglais. Je me demande maintenant à quoi ressemblerait ma vie si j’avais raté ce train, si je n’avais pas été obligé d’aller dans ce musée, la National Gallery, si je n’avais pas découvert… Disons juste que la magie n’est pas toujours là où on s’y attend.

Après un démarrage dynamique sur un fond d’intrigue manquant malheureusement d’originalité, le scénario prend son envol et son développement propre, nous proposant une aventure rocambolesque, réjouissante et pétulante (dans le sens positif du terme).
Le cadre (la National Gallery) est enthousiasmant et la brochette de personnages super sympa.
On se laisse vite emporter par cette épopée haute en couleur, pour un bon moment de lecture.

Les amateurs d’art ne manqueront pas de faire des petites recherches complémentaires au sujet des tableaux mentionnés. Un travail d’investigation passionnant pour aller plus loin !

La bibliomule de Cordoue

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De Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau
Paru chez Dargaud

Califat d’Al Andalus, Espagne. Année 976.
Voilà près de soixante ans que le califat est placé sous le signe de la paix, de la culture et de la science. Le calife Abd el-Rahman III et son fils al-Hakam II ont fait de Cordoue la capitale occidentale du savoir. Mais al-Hakam II meurt jeune, et son fils n’a que dix ans.
L’un de ses vizirs, Amir, saisit l’occasion qui lui est donnée de prendre le pouvoir. Il n’a aucune légitimité, mais il a des alliés. Parmi eux, les religieux radicaux, humiliés par le règne de deux califes épris de culture grecque, indienne, ou perse, de philosophie et de mathématiques. Le prix de leur soutien est élevé : ils veulent voir brûler les 400 000 livres de la bibliothèque de Cordoue. La soif de pouvoir d’Amir n’ayant pas de limites, il y consent.
La veille du plus grand autodafé du monde, Tarid, eunuque grassouillet en charge de la bibliothèque, réunit dans l’urgence autant de livres qu’il le peut, les charge sur le dos d’une mule qui passait par là et s’enfuit par les collines au nord de Cordoue, dans l’espoir de sauver ce qui peut l’être du savoir universel.

Un conte universel savoureux qui aborde le conflit entre la soif de pouvoir et la liberté que peut prodiguer la culture. Ce conflit est malheureusement toujours d’actualité de nos jours…
Ce gros pavé graphique se lit facilement et avec plaisir grâce à un scénario palpitant et très bien construit, servi par des illustrations très sympas. A vrai dire, “sympa” est un peu faible car le style graphique, le découpage et les couleurs sont parfaits. Les décors sont magnifiques, les détails au rendez-vous et les personnages beaux et expressifs. De plus, on prend vraiment le temps de raconter cette aventure, avec ce qu’il faut où il faut, ce qui est particulièrement appréciable pour le lecteur.
Puisque nous parlons des personnages, ils sont tout autant enthousiasmants et contribuent sans aucun doute à l’équilibre et à la réussite de l’ensemble. Quelle équipe : un eunuque grassouillet, une jeune esclave copiste, un voleur presque repenti et une mule plus que têtue. Et pourtant ils avancent, difficilement mais ils avancent… forçant l’admiration.
L’histoire est tour à tour drôle, émouvante, dramatique ou attendrissante.
Le fait que le scénario s’appuie sur la grande Histoire lui donne beaucoup de crédibilité. La fiction vient s’y entremêler subtilement, afin de dénoncer et condamner les autodafés et destructions du patrimoine culturel.
Un roman graphique qui, grâce à son accessibilité, son esthétique et son approche fait passer un message important avec une grande délicatesse. Une belle pépite à caser dans toute bonne bibliothèque !