De Gilles Paris
Paru chez Flammarion
” Les cliniques spécialisées, je connais. Je m’y suis frotté comme on s’arrache la peau, à vif. Les hôpitaux psychiatriques sont pleins de gens qui ont baissé les bras, qui fument une cigarette sur un banc, le regard vide, les épaules tombantes. J’ai été un parmi eux. “
Une dépression ne ressemble pas à une autre. Gilles Paris est tombé huit fois et, huit fois, s’est relevé. Dans ce récit où il ne s’épargne pas, l’auteur tente de comprendre l’origine de cette mélancolie qui l’a tenaillé pendant plus de trente ans.
Je lis rarement des témoignages car ils me donnent un sentiment de voyeurisme désagréable mais il m’arrive de faire quelques exceptions.
Je partage avec Gilles Paris un certain intérêt pour les gens et je distingue regarder et voir. J’aime regarder les gens. Les écrits sont parfois le reflet d’une personne, en tout cas on y trouve là aussi des traits de caractère, des petites manies, et des tas d’autres choses quand on regarde bien. J’avais cru déceler une humanité, une sensibilité à fleur de peau et un vécu difficile chez cet auteur. Il semblerait, à la lecture de son nouveau roman Certains coeurs lâchent pour trois fois rien, que ses écrits précédemment lus ne m’aient pas trompés à ce sujet.
Ce roman est donc un témoignage dans lequel l’auteur se met à nu. Il se dévoile sans fausse pudeur et pourtant il ne recule devant rien, sans en faire des caisses non plus. (Très bon point !) Le texte dégage de la sincérité. Il ne s’agit pas du tout ici de laver son linge sale en public. (Deuxième bon point) C’est peut-être pour cela, sans oublier la plume poétique et sensible de Gilles, que malgré le sujet on ne sort pas de cette lecture déprimé(e). Au contraire, il y a une sorte de force dans ce texte, un côté entier, un certain amour de la vie, paradoxalement.
J’ai admiré la ténacité de l’auteur. Mais ce qui m’a le plus frappée, c’est sa liberté. Totale, comme une vraie cigale qui vit dans l’instant.
Si certains passages sont durs (le moins que l’on puisse dire c’est que la lettre d’ouverture met dans le bain !), avec notamment cette scène violente avec le père qui revient encore et encore, l’écriture de Gilles Paris les rend lisibles sans effort.
On pourrait débattre des heures sur le thème de ce roman mais j’ai pour habitude de rester suffisamment concise dans mes chroniques (c’est d’ailleurs un peu raté aujourd’hui), je m’en tiendrai donc là. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à lire ce livre.
Gilles a gentiment accepté de répondre à quelques questions pour compléter ma petite présentation, voici ses réponses… Merci à lui !
Chaque fois que je lis un témoignage, je me pose la question : pourquoi écrire un récit aussi intime ? Qu’est-ce qui déclenche le processus d’écriture ?
En ce qui me concerne une rencontre avec Véronique de Bure, mon éditrice chez Flammarion, qui m’a soufflé l’idée à l’oreille, comme un murmure. Et l’envie d’être sans artifices, sans m’épargner, de me servir de toutes ces années d’analyse pour passer le relais.
Une fois le manuscrit terminé, qu’est-ce qui t’a motivé à le faire publier ? Pourquoi ne pas simplement le garder pour toi ?
Le partage est essentiel pour un écrivain. On n’écrit pas seulement pour soi, mais pour tous ceux qui vous lisent et réagissent à cette lecture de différentes manières. C’est un dialogue à distance.
Ne crains-tu pas de te dévoiler trop et de t’exposer au regard des autres ?
Si bien sûr, mais ce livre ne pouvait exister sans vérité, la mienne. Cela pourrait ressembler à un rêve où je me promènerais nu dans la foule. Mais ce n’est qu’un rêve : les mots m’habillent.
Tu dis dans ce roman que La lumière est à toi est le livre dont tu es le plus fier à ce jour. Du coup comment classes-tu Certains coeurs lâchent pour trois fois rien dans ta bibliographie ?
La lumière est à moi est le livre qui a rompu la malédiction des dépressions qui surgissaient après chaque lancement. Les nouvelles romanesques où j’entre dans le monde des adultes, à petits pas. Voilà pourquoi c’est le livre dont je suis le plus fier. Pour Certains cœurs… il vient à peine de paraitre. Il faudra me reposer la question dans un an.
Comment vis-tu la sortie de Certains cœurs lâchent pour trois fois rien et quelles sont tes attentes vis à vis de cette parution.
Je le vis sereinement, avec l’épée de Damoclès de la pandémie au-dessus de ma tête. Je me suis blindé depuis décembre avec les scénarios les plus atroces dont je vous épargnerais le récit. Je suis heureux du démarrage, des premiers retours, je prends tout comme un cadeau emballé dont je défais le ruban avec joie. C’est aussi comme si on parlait d’un autre que moi qui n’était pas tout à fait moi, mais y ressemblerait. Il parait qu’on a sept jumeaux dans le monde. Avec ce livre, je risque de battre les records.