Monthly Archives: February 2021

Le bal des folles

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De Victoria Mas
Paru chez Albin Michel

Chaque année, à la mi-carême, se tient un très étrange Bal des Folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Réparti sur deux salles – d’un côté les idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques, les folles et les maniaques – ce bal est en réalité l’une des dernières expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de la Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie, Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle.

Je voulais le lire depuis sa sortie et il faut avouer que cette lecture a été à la hauteur de l’attente. Ce roman est court mais intense. Il est bien écrit, passionnant, mais aussi révoltant. Victoria Mas installe l’ambiance avec dextérité, rien n’est laissé au hasard dans cette fiction sur fond historique basée sur des faits réels (le travail de Charcot à la Salpêtrière). On sent le récit documenté dans les moindres détails, c’est très agréable. Le lecteur se trouve projeté au début du 19ème siècle, mais s’indigne avec son vécu du 21ème siècle contre ces procès d’intention faits aux femmes sans sommation, contre ces internements hâtifs, contre ces traitements tellement injustes. Quelque part, au-delà de la fiction, il s’agit donc d’un livre militant, un livre féministe résolument engagé qui fait les choses bien et condamne la société patriarcale.

Pour ma part, j’ai été conquise et ai ressenti une empathie totale envers les personnages féminins. C’est un immense coup de cœur.

Les spectaculaires contre les brigades du Pitre

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De Régis Hautière et Arnaud Poitevin
Paru chez Rue de Sèvres

Des clowns d’un nouveau genre font leur cirque dans les rues de Paris.
Pillage, saccage, chantage, outrage, cambriolage, tapage, ces anarchistes rigolards ne reculent devant aucune forfaiture pour terroriser le Tout-Paris et ridiculiser les autorités. Mais voici que face à eux se dressent les as du cafouillage, les princes du dérapage, les rois du naufrage : les Spectaculaires !

Et revoilà les spectaculaires dans un nouvel opus. Soulignons d’ailleurs la régularité de cette série. Même si chaque tome propose une aventure distincte, c’est appréciable de pouvoir passer à la suite sans attendre 10 ans !

Tout commence par un prologue, au pied de la Colonne Vendôme, où un clown se paie la tête de la maréchaussée, qui découvre ensuite (et nous avec) que la statue de Napoléon a été déguisée en clown et une bannière “Ni Dieu ni maître” déployée. Scandale ! Le ton est donné. On retrouve immédiatement la gouaille et l’ambiance Belle Epoque qui font l’attrait de cette série.

L’intrigue reste assez simple mais est à la hauteur, sur fond de critique sociale, mouvement anarchiste et place de la femme dans la société, rien de moins ! Une belle aventure des spectaculaires au mieux de leur forme. Ayant choisi de les opposer à des adversaires rusés et habiles, les auteurs leur ont donné du fil à retordre. Les inventions du professeur ne s’arrangent pas, la malchance et les faux-pas de nos héros sont au rendez-vous, renforçant l’effet comique…

Régis Hautière se paie le luxe des références bien senties, notamment aux fameuses Brigades du Tigre de Clémenceau, mais ici ce sont celles du Pitre, donc des vilains ! Les pieds de nez s’enchaînent. Le scénario fonctionne très bien, avec des dialogues bourrés d’humour qui détournent avec bonne humeur des slogans anarchistes et utilisent l’argot fort à propos. Un scénario qui ose également faire la part belle à l’amitié et ça, c’est beau ! Les personnages sont quant à eux toujours aussi attachants, ce qui ne gâche rien.
J’ai gardé les illustrations pour la fin. Arnaud Poitevin fait une fois encore de l’excellent travail. Il installe une ambiance vraiment sympa. Tout est beau et plein de finesse, mais aussi d’humour, c’est un vrai plaisir. Les illustrations et le texte se complètent parfaitement pour un tome 5 réussi. Les spectaculaires ne faiblissent pas et c’est tant mieux !

Rivage de la colère

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De Caroline Laurent
Editions Les Escales

Au coeur de l’océan Indien, ce roman de l’exil met à jour un drame historique méconnu. Et nous offre aussi la peinture d’un amour impossible. Août 1967. Après 157 ans de présence coloniale britannique, l’île Maurice accède à l’indépendance. Pour Marie Ladouceur, qui vit sur l’île de Diego Garcia aux Chagos, un archipel rattaché à Maurice, c’est un non-événement. La seule chose qui lui importe alors est d’aimer, et surtout de se faire aimer d’un jeune homme à la silhouette d’oiseau, Gabriel Neymorin. Marie a vingt-deux ans, deux fossettes dans les joues, une peau noire aux reflets d’or. Depuis toujours elle va pieds nus, sans chaussures ni brides pour l’entraver, libre. Elle sait que Gabriel, venu spécialement de Maurice pour seconder l’administrateur de l’île, est tout ce qu’elle n’est pas : un bourgeois, un intellectuel, un ” bon créole “.

Un roman d’amour… Pourquoi commencer par ce point ? Mais parce que c’est tout de même le cœur de ce récit et que c’est une histoire d’amour exaltante qui nous est proposée là. Une histoire qui a tout pour échouer de base, contrecarrée par les aléas de l’Histoire. Une histoire d’amour tout sauf simple sur fond de disparité sociale et de luttes de classe. Une histoire, enfin, qui réserve des surprises jusqu’au bout et ballote le lecteur à sa guise.

Des personnages forts… Les personnages de ce roman sont extraordinaires, quel que soit le côté où ils se trouvent. Cette lecture est une réussite, rien que pour les personnages.

Un roman historique… sous l’histoire, il y a l’Histoire ! Qui a déjà entendu parler des Chagos ? Peu de gens sans doute. En tout cas, on n’en parle pas à l’école… L’Histoire des Chagos est passée sous silence, balayée par les intérêts mondiaux stratégiques, les alliances, les combines, au détriment des êtres humains. Alors que ce qui s’est passé est absolument révoltant : interdire aux gens de rentrer chez eux, forcer les habitants restants à l’exil pour les abandonner ensuite à leur triste sort (et on reconnaît bien là les hautes manœuvres qui ne se préoccupent pas vraiment des “dégâts collatéraux”) et, pire encore, savoir que cette situation est toujours d’actualité. Une chape de silence de plomb pèse sur les chagossiens… C’est une honte et ce sont des pays dit civilisés (qui ne se gênent pas pour critiquer les actions de pays qu’ils supposent moins civilisés) qui en sont à l’origine.

Vous l’aurez compris, ce roman est pour moi un coup de cœur. Je l’ai lu avec plaisir et il m’a beaucoup touchée et remuée. C’est un roman nécessaire qui interpelle le lecteur et le force à réfléchir. Caroline Laurent a choisi de traiter l’Histoire des Chagos par le biais de la fiction et je pense que c’était la meilleure façon de le faire. Bravo !

Certains cœurs lâchent pour trois rien

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De Gilles Paris
Paru chez Flammarion

” Les cliniques spécialisées, je connais. Je m’y suis frotté comme on s’arrache la peau, à vif. Les hôpitaux psychiatriques sont pleins de gens qui ont baissé les bras, qui fument une cigarette sur un banc, le regard vide, les épaules tombantes. J’ai été un parmi eux. “
Une dépression ne ressemble pas à une autre. Gilles Paris est tombé huit fois et, huit fois, s’est relevé. Dans ce récit où il ne s’épargne pas, l’auteur tente de comprendre l’origine de cette mélancolie qui l’a tenaillé pendant plus de trente ans.

Je lis rarement des témoignages car ils me donnent un sentiment de voyeurisme désagréable mais il m’arrive de faire quelques exceptions.
Je partage avec Gilles Paris un certain intérêt pour les gens et je distingue regarder et voir. J’aime regarder les gens. Les écrits sont parfois le reflet d’une personne, en tout cas on y trouve là aussi des traits de caractère, des petites manies, et des tas d’autres choses quand on regarde bien. J’avais cru déceler une humanité, une sensibilité à fleur de peau et un vécu difficile chez cet auteur. Il semblerait, à la lecture de son nouveau roman Certains coeurs lâchent pour trois fois rien, que ses écrits précédemment lus ne m’aient pas trompés à ce sujet.

Ce roman est donc un témoignage dans lequel l’auteur se met à nu. Il se dévoile sans fausse pudeur et pourtant il ne recule devant rien, sans en faire des caisses non plus. (Très bon point !) Le texte dégage de la sincérité. Il ne s’agit pas du tout ici de laver son linge sale en public. (Deuxième bon point) C’est peut-être pour cela, sans oublier la plume poétique et sensible de Gilles, que malgré le sujet on ne sort pas de cette lecture déprimé(e). Au contraire, il y a une sorte de force dans ce texte, un côté entier, un certain amour de la vie, paradoxalement.
J’ai admiré la ténacité de l’auteur. Mais ce qui m’a le plus frappée, c’est sa liberté. Totale, comme une vraie cigale qui vit dans l’instant.
Si certains passages sont durs (le moins que l’on puisse dire c’est que la lettre d’ouverture met dans le bain !), avec notamment cette scène violente avec le père qui revient encore et encore, l’écriture de Gilles Paris les rend lisibles sans effort.
On pourrait débattre des heures sur le thème de ce roman mais j’ai pour habitude de rester suffisamment concise dans mes chroniques (c’est d’ailleurs un peu raté aujourd’hui), je m’en tiendrai donc là. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à lire ce livre.

Gilles a gentiment accepté de répondre à quelques questions pour compléter ma petite présentation, voici ses réponses… Merci à lui !

Chaque fois que je lis un témoignage, je me pose la question : pourquoi écrire un récit aussi intime ? Qu’est-ce qui déclenche le processus d’écriture ?
En ce qui me concerne une rencontre avec Véronique de Bure, mon éditrice chez Flammarion, qui m’a soufflé l’idée à l’oreille, comme un murmure. Et l’envie d’être sans artifices, sans m’épargner, de me servir de toutes ces années d’analyse pour passer le relais.

Une fois le manuscrit terminé, qu’est-ce qui t’a motivé à le faire publier ? Pourquoi ne pas simplement le garder pour toi ?
Le partage est essentiel pour un écrivain. On n’écrit pas seulement pour soi, mais pour tous ceux qui vous lisent et réagissent à cette lecture de différentes manières. C’est un dialogue à distance.

Ne crains-tu pas de te dévoiler trop et de t’exposer au regard des autres ?
Si bien sûr, mais ce livre ne pouvait exister sans vérité, la mienne. Cela pourrait ressembler à un rêve où je me promènerais nu dans la foule. Mais ce n’est qu’un rêve : les mots m’habillent.

Tu dis dans ce roman que La lumière est à toi est le livre dont tu es le plus fier à ce jour. Du coup comment classes-tu Certains coeurs lâchent pour trois fois rien dans ta bibliographie ?
La lumière est à moi est le livre qui a rompu la malédiction des dépressions qui surgissaient après chaque lancement. Les nouvelles romanesques où j’entre dans le monde des adultes, à petits pas. Voilà pourquoi c’est le livre dont je suis le plus fier. Pour Certains cœurs… il vient à peine de paraitre. Il faudra me reposer la question dans un an.

Comment vis-tu la sortie de Certains cœurs lâchent pour trois fois rien et quelles sont tes attentes vis à vis de cette parution.
Je le vis sereinement, avec l’épée de Damoclès de la pandémie au-dessus de ma tête. Je me suis blindé depuis décembre avec les scénarios les plus atroces dont je vous épargnerais le récit. Je suis heureux du démarrage, des premiers retours, je prends tout comme un cadeau emballé dont je défais le ruban avec joie. C’est aussi comme si on parlait d’un autre que moi qui n’était pas tout à fait moi, mais y ressemblerait. Il parait qu’on a sept jumeaux dans le monde. Avec ce livre, je risque de battre les records.