Category Archives: Thriller

Une saison pour les ombres

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De R. J. Ellory
Paru chez Sonatine

Nord-est du Canada, 1972. Dans cette région glaciale, balayée par les vents, où l’hiver dure huit mois, la petite communauté de Jasperville survit grâce au travail dans les mines d’acier. Les conditions de vie y sont difficiles. Au-delà du village, il n’y a rien. Juste une nature hostile, quelques ours, des loups. Aussi quand le corps d’une adolescente du village est découvert aux abords de la forêt, la gravité des blessures laisse supposer qu’elle a été victime d’une bête sauvage.
Ce sera en tout cas la version officielle. Et tout le monde prie pour qu’elle soit vraie. Mais, quelques temps plus tard, le corps d’une autre jeune fille est retrouvé.

Montréal, 2011. Le passé que Jack Deveraux croyait avoir laissé derrière lui le frappe de plein fouet lorsqu’il reçoit un appel de Jasperville. Son jeune frère, Calvis, est en garde-à-vue pour tentative de meurtre. De retour sur les lieux de cette enfance, qu’il a tout fait pour oublier, Jack découvre qu’au fil des années, l’assassin a continué à frapper. L’aîné des Deveraux comprend alors que la seule façon de mettre fin à cette histoire tragique est de se répondre à certaines questions, parfois très personnelles. Mais beaucoup, à Jasperville, préfèrent voir durer le mensonge qu’affronter la vérité.

R. J. Ellory est doué pour créer des romans d’ambiance et celui-ci l’est tout particulièrement. L’ambiance (sombre) est installée avec maîtrise et elle fonctionne admirablement bien. Une tension psychologique s’installe au fil des pages, tandis que nous observons Jack se débattre avec ses démons du passé alors que son présent part en miettes. C’est d’ailleurs ce personnage complexe qui va porter toute l’histoire. Celle-ci se déroulera autour de ses doutes, son vécu, ses émotions en alternant passé et présent.
L’intrigue se met en place tranquillement, prend le temps de poser le décor, puis avance tout aussi tranquillement. On n’est pas du tout dans un roman d’action ! Et pourtant, malgré l’atmosphère pesante et quelques longueurs tout de même, le récit est très prenant, porté par le talent d’Ellory. Le lecteur est happé, comme un papillon qui ne peut résister à la lumière, et entraîné loin loin.

La princesse au visage de nuit

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De David Bry
Paru aux Editions de l’Homme sans nom

Dans les bois vit la princesse au visage de nuit ; ses yeux sont des étoiles et ses cheveux l’obscur. Hugo, enfant violenté par ses parents, s’est enfui avec ses amis dans la forêt, à la recherche de la princesse au visage de nuit, qui exaucerait les vœux des enfants malheureux… Il est ressorti du bois seul et sans souvenirs, et a été placé dans une famille d’accueil.
Vingt ans plus tard, alors qu’il a tout fait pour oublier son enfance, Hugo apprend la mort de ses parents. Mais, de retour dans le village de son enfance, il découvre que ses parents auraient été assassinés, et d’étranges événements se produisent. La petite voiture de son enfance réapparaît comme par magie. De mystérieuses lueurs brillent dans les bois. Les orages soufflent des prénoms dans le vent.

Avec un tel résumé, ce roman avait tout pour m’attirer et cela n’a pas loupé. Telle une mouche avisant une cuillère de confiture, j’ai foncé, d’autant plus que David Bry est un auteur que j’avais apprécié (notamment avec Que passe l’hiver, moins pour Le chant des géants), ne serait-ce que parce qu’il est expert plus plus en installation d’ambiance. Et il sait choisir ses ambiances : mystérieuses, intrigantes, voire angoissantes, tout ce que j’aime.
La princesse au visage de nuit est un roman plutôt ancré dans le réel, avec une touche de fantastique. Partant sur une base de vieilles légendes, de drame ancien, de secrets de village voire de famille, il navigue entre passé et présent pour mieux perdre le lecteur et tout mêler.
Pour autant, le potentiel fantastique a été ici globalement sous-exploité à mon goût. C’est dommage, mais cela reste du coup un petit peu poussif et le dénouement est hélas trop rapide. Cela aurait pu être une lecture dingue, elle fut simplement plaisante.
Un bon moment de lecture à la frontière du thriller, du contemporain et du fantastique, avec un texte rythmé et plein de suspense.

Le bureau des affaires occultes

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D’Eric Fouassier
Paru chez Albin Michel

“Automne 1830, dans un Paris fiévreux, Valentin Verne, jeune inspecteur du service des moeurs, est muté à la brigade de Sûreté fondée auparavant par le fameux Vidocq. Il doit élucider une série de morts étranges. Féru de chimie et de médecine, cultivant un goût pour le mystérieux et l’irrationnel, Valentin Verne sait en décrypter les codes. Il est nommé à la tête du “bureau des affaires occultes”.
Mais qui est vraiment ce policier solitaire ? Qui se cache derrière ce visage angélique où perce parfois une férocité déroutante ? Qui est le chasseur, qui est le gibier ?

Un sacré polar historique qui se déroule dans le Paris du XIXème.
Avec son intrigue multicouches et son ambiance historique plus vraie que nature, ce roman a tout pour séduire. La construction est originale avec des flashbacks, des flashforwards et des extrapolations habiles pour finir de mener le lecteur par le bout du nez. Le récit bien rythmé déambule dans un Paris sordide à l’ambiance sombre. L’auteur nous entraîne de cabarets miteux aux catacombes glauques, instaurant une atmosphère prenante et mystérieuse. L’intrigue policière fonctionne quand à elle très bien et les personnages sont vraiment charismatiques et attachants.
Bien que constituant visiblement le point de départ d’une série mettant en scène le formidable Valentin Verne, l’enquête se conclut en fin de roman, ce qui évite de rester sur sa faim. Pour ma part, je découvrirai la prochaine aventure de l’inspecteur avec grand plaisir. Elle sera, à n’en point douter aussi riche et passionnante que celle-ci !

Possession

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De Moka
Paru chez l’Ecole des loisirs

Les Vendôme et leurs trois enfants sont ravis d’emménager dans leur nouvelle maison. Pourtant, une nuit, leur fille Lucrèce saute du toit sous les yeux de son frère Malo. Choqué, ce dernier passe plusieurs mois en hôpital psychiatrique. A son retour, il est persuadé que la maison est maléfique.

Ce court thriller à orientation fantastique fonctionne super bien, avec une mise en place du surnaturel progressive et une belle montée en intensité, pour un final en apothéose.
On part d’une situation post-traumatique que l’on pourrait qualifier de normale pour arriver à un drame angoissant. Le fait de voir cela du point de vue de Malo, le “fou” et pourtant celui qui résistera jusqu’au bout, apporte un vrai plus. C’est même grâce à cela que la montée en puissance fonctionne aussi bien.
Moka sait bien mettre l’ambiance en place. La peur s’installe, le fantastique aussi. Malgré cette ambiance sombre, la rencontre avec Alice, Chacha et Gatien apporte une légèreté bienvenue. C’est très bien dosé.
L’intrigue prenante reste délicieusement efficace jusqu’au bout. Elle aurait toutefois, à mon sens, gagné à être développée davantage, avec un dénouement peut-être moins rapide. C’est dommage de ne pas avoir pris le temps de développer certains aspects, notamment le personnage du nounours.
Un dernier petit mot pour saluer le travail d’Emmanuel Polanco sur la couverture, qui est très réussie !

La brigade de l’ombre tome 1 La prochaine fois ce sera toi

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De Vincent Villeminot
Paru chez Casterman

Fleur vérifia sur son téléphone : son père ne lui avait laissé aucun message. C’était curieux, ces trois appels successifs. Pourtant, elle décida de faire la morte. La morte… Une étrange façon de parler, à bien y réfléchir. Et glaçante, quand on l’associait aux coups de fil du commissaire Markowicz. Son père. Pour qui le pire était toujours sûr.

Un bon roman policier avec une brigade de l’ombre au top, un méchant moche et fielleux et, bien sûr, une intrigue policière haletante.
Le gros point fort du récit réside sans conteste dans les personnalités des personnages. Sans tomber dans les clichés, les membres de la brigade de l’ombre ont en effet des personnalités fortes et une façon d’enquêter très personnelle. C’est très plaisant de les voir évoluer dans l’enquête et se dévoiler petit à petit.
Les goules apportent par ailleurs une note fantastique intéressante, évitant une intrigue trop classique et monotone.
Un premier tome tout à fait convaincant, qui donne envie de lire la suite.

Le sang des pierres

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le sang des pierresDe Johan Theorin
Paru chez Albin Michel

À la fonte des neiges, les gens du continent réinvestissent l’île. Peter Mörner s’est installé dans une vieille maison dont il a hérité pour trouver la paix, loin de son père. De sa villa flambant neuve, Vendela Larsson regarde cette lande dont elle connaît tous les secrets. Quant à Gerloff, vieux loup de mer de 85 ans, il a voulu revoir, peut-être pour la dernière fois, le soleil de son enfance… Mais pour eux, le printemps ne sera pas comme les autres. La mort rôde en cette nuit de Walpurgis qui célèbre traditionnellement la fin de l’hiver, et les drames du passé, dont témoigne la couleur rouge sang de la falaise entre la carrière et la lande, resurgissent…

J’ai eu envie de lire ce livre pour plusieurs raisons. D’abord, j’aime bien les livres qui se passent dans des endroits particuliers. Je n’ai pas été déçue : les descriptions de l’île d’Öland stimulent l’imagination et ces paysages que l’on devine à la fois grandioses et sauvages donnent de la profondeur au récit. Ensuite, la quatrième de couverture, décrivait Johan Theorin comme le maître du polar scandinave. Programme ô combien alléchant ! Enfin, on m’avait promis un suspense de virtuose…

Tous les ingrédients étaient là et pourtant, mon avis est mitigé. J’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire, ce qui m’arrive rarement et ne devrait pas être le cas avec un livre de la catégorie polar. Au début du roman, les histoires individuelles s’enchaînent, s’entrecroisent et on saute d’un personnage à l’autre, ce qui est un peu déstabilisant. Le rythme est du coup à la fois rapide, puisque l’on suit différentes histoires et à la fois lent puisque l’on ne voit pas trop où cela peut mener. À la fois, cette entrée en matière paradoxale contribue à mettre l’action en place, tranquillement…

Le suspense monte progressivement et l’inquiétude croissante de Peter, auquel on s’attache rapidement, est palpable et devient peu à peu oppressante. Gerloff et Vendela sont également des personnages attachants. Le petit grain de folie de cette dernière pimente d’ailleurs tout à fait bien le récit. Les passages sur les elfes et les trolls apportent une belle originalité au roman, qui sort ainsi des codes classiques du genre. J’ai également apprécié que les histoires des uns et des autres se croisent au sujet des elfes et cie et que le dénouement nous apporte des informations concrètes (je n’en dirai pas plus !).

L’intrigue dans l’intrigue (si je puis dire), qui concerne Vendela est très intéressante et son approche très réussie. Par contre, le fond de l’intrigue principale est classique et pas très difficile à deviner à l’avance. C’est dommage.

En résumé, ce roman est agréable à lire, mais l’alchimie n’a pas fonctionné plus que ça pour moi.

Je remercie Livre@ddict et Albin Michel pour ce partenariat insolite et cette belle découverte.

Le huit

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le huitDe Katherine Neville
Traduction Evelyne Jouve

New York, décembre 1972 : Catherine Velis, jeune experte en informatique, est une spécialiste des échecs. Alors qu’elle se prépare à partir en Algérie travailler pour l’Opep, des événements mystérieux se succèdent. C’est d’abord une vieille femme qui la prévient des dangers qui rôdent autour d’elle, puis un antiquaire qui lui demande de rassembler les pièces d’un jeu d’échecs très ancien dont une bonne partie serait dissimulée en Algérie… Sud de la France, printemps 1790 : Mireille de Rémy et sa cousine Valentine sont novices dans l’abbaye fortifiée de Montglane. Alors que la révolution bat son plein, la Mère supérieure les charge d’une étrange mission : disséminer à travers le monde les pièces du jeu d’échecs de Montglane, qu’un Maure aurait offert à Charlemagne. Celles-ci, réunies, renfermaient un secret qui donnerait accès à une terrible puissance. Les deux cousines partent alors pour Paris où sévit la terreur. Le Huit nous propose de suivre les destins parallèles de Mireille de Rémy et de Catherine Vélis, depuis les alcôves révolutionnaires parisiennes, où se livrent d’étranges luttes de pouvoir, jusqu’aux cercles fermés qui, à notre époque, contrôlent l’énergie et l’économie.

Lorsque le thème du mois de janvier a été choisi pour le Book club du mois de janvier sur Livr@ddict, je me suis souvenue de ce livre palpitant que j’avais adoré il y a une dizaine d’années.

Je me suis donc attelée à la relecture de ce pavé et je dois avouer que j’ai de nouveau été happée par le récit plein de rebondissements.

Tout d’abord, le fait que le récit se déroule parallèlement sur deux périodes donne une grande richesse à l’intrigue : il se passe toujours quelque chose, à l’une ou l’autre époque, jusqu’à ce que les deux histoires parallèles se rejoignent et que la partie contemporaine prenne l’ascendant.

Ensuite, le travail de documentation réalisé est absolument impressionnant. Malgré quelques raccourcis et clichés, Katherine Neville a fait un travail de recherche remarquable, d’autant plus qu’elle aborde des sujets très éloignés les uns des autres. Le meilleur exemple en est, selon moi, la partie sur la Révolution et la Terreur, qui semble criante de vérité. Bien sûr, le fait qu’elle soit elle-même experte en informatique et ait travaillé pour l’OPEP a certainement été une aide précieuse pour certaines parties… Tout ce travail de fond contribue à renforcer la crédibilité de l’intrigue. Et le résultat obtenu est bluffant, on croit tout à fait à cette énigme cachée un jeu d’échecs…

Pourtant, je ne sais si les années m’ont rendue plus critique, mais j’ai été moins emballée que lors de ma première lecture. J’ai trouvé que l’auteure en faisait un peu trop. En effet, les personnages historiques (majeurs) et célèbres se succèdent, qu’ils jouent un rôle important ou non dans l’histoire et à force, cela finit par faire trop. De même, les explications mathématiques détaillées auraient pu être épargnées au lecteur. Enfin, il y a malheureusement quelques longueurs ici et là.

Bref, le mythe en a pris un coup, mais le roman reste très agréable à lire et je le recommande chaudement aux amateurs de polars et d’histoire. L’alchimie y fonctionne particulièrement bien !

Sukkwan island

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sukkwanDe David Vann
Traduit de l’américain par Laura Derajinski
Paru chez Gallmeister

Prix Médicis étranger 2010

Une île sauvage du sud de l’Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées. C’est dans ce décor que Jim décide d’emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d’échecs personnels, il voit là l’occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu’il connaît si mal. La rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar, et la situation devient vite incontrôlable. Jusqu’au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin.

Il semble que j’affectionne particulièrement les “histoires d’îles”, en voici encore une…

La démarche du père et de son fils qui s’installent sur une île perdue est intrigante dès le départ. On ne peut s’empêcher de se demander ce qu’ils vont chercher là. Les paysages sauvages et la rudesse de leur nouvelle vie sont impressionnants. Ensuite, on est pris dans l’ambiance sombre et de plus en plus oppressante et même si leurs motivations profondes ne sont pas faciles à déchiffrer du fait de leur complexité, leur situation et leur relation est suffisamment prenante pour cela passe au second plan.

Les personnages ne sont pas particulièrement attachants. D’une part, le père est un loser. Il n’est pas méchant, mais complètement égocentrique, à tendance psychopathe. Il n’a pas hésité à entraîner son fils de 13 ans dans cette aventure alors qu’il ne maîtrise pas la situation. Il connaît d’ailleurs mal son fils, mais ne cherche pas à mieux le connaître. Il s’étonne même à un moment que son fils ne soit pas plus enthousiaste… On a l’impression qu’il l’a juste emmené pour avoir un peu de compagnie et avoir quelqu’un sur qui déverser un torrent de remords, qui ne concernent pourtant en rien un jeune garçon. Le fils, de son côté, est un peu trop passif, mais n’est qu’un adolescent de 13 ans et ne peut gérer la situation. Il ne voulait pas venir, ensuite il ne souhaitait pas rester, et pourtant il le fait. Il sent que c’est son devoir, que son père compte sur lui et comprend finalement qu’il ne peut s’échapper de l’enfer que devient rapidement le séjour sur l’île. Pourtant, il ne parviendra pas à se rapprocher de ce père suicidaire, qui lui fait des confidences intimes en pleurant la nuit, puis reprend le cours de la vie l’air de rien au matin.

L’ambiance devient de plus en plus oppressante lorsque le drame survient. Les descriptions de paysage font alors plus de place aux « paysages intérieurs » et aux états d’âme. Et là on assiste, incrédule, à la lutte entre les deux personnalités de Jim. Sa descente aux enfers sera l’occasion d’apprendre enfin à connaître Roy et à l’apprécier pour ce qu’il est réellement et non ce que Jim aurait aimé qu’il soit. Il parviendra finalement à faire preuve de lucidité et, même, à faire face à ses responsabilités à la fin. En revanche, même là je n’ai pu le plaindre : ce sont ses égarements qui l’ont conduit ici…

Ce roman est hypnotisant. David Vann a su trouver le rythme et le théâtre parfaits pour ce scénario terriblement noir. On sent dès le début que tout ne peut que mal finir, mais là on atteint des sommets en la matière ! On en sort bouleversé et complètement sonné.

Une très belle découverte. Et des descriptions magnifiques, dans une nature d’une rudesse extrême, qui ne pardonne aucun faux pas et ajoute un poids supplémentaire à ce drame.

La chair de la salamandre

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salamandreDe Jean-Louis Marteil
Paru aux éditions La Louve

Roman noir, polar médiéval, ce livre est une immersion dans l’univers de la banque, du commerce et de l’usure pratiqués entre autres par les puissants banquiers cahorsins au XIII° siècle. C’est aussi une descente vertigineuse au cœur d’une famille dans laquelle chacun – et peut-être surtout chacune – a quelque chose à cacher, où la révélation de secrets jusque-là profondément enfouis pourrait bien provoquer la pire des catastrophes. Mais si La chair de la Salamandre est un roman noir, au dénouement aussi surprenant que sordide, c’est également un récit toujours drôle, riche d’ironie et d’humour (noir évidemment), qui nous fait parcourir les rues de cités opulentes et dangereuses et nous emporte au long des rivières redoutables qui menaient les gabarres, souvent chargées de vin, vers Bordeaux et l’Atlantique. Documenté, respectueux de l’époque, cet ouvrage réjouissant nous fait croiser la route aléatoire de nombreux personnages qui, pour être parfois fort inquiétants, n’en sont pas moins le plus souvent truculents, voire complètement loufoques. Situations abracadabrantes et dialogues absurdes se succèdent, tandis que le drame se joue et que le maître des Enfers rôde, à la recherche de proies…

Un roman noir historique… Cette double casquette lui donne plus d’ampleur qu’un polar classique, tout en étant complètement différent : je n’avais encore jamais lu de polar se déroulant au Moyen-Âge ! Jean-Louis Marteil nous emmène dans le Cahors du XIIIe siècle, époque où l’usure, bien que nécessaire, est condamnée par l’Église. En immersion totale et sans concession dans la vie au Moyen-Âge, on s’y croirait vraiment, dès la première page ! Les situations, les castes, les dialogues, le langage utilisé, tout est représentatif de la période concernée et donne une excellente idée de la vie à cette époque, où les puissants étaient omnipotents et les relations « diplomatiques » hautement versatiles, souvent à la pointe d’une lame bien affûtée. J’ai beaucoup aimé la mise en situation et le style agréablement soutenu, qui renforcent la vraisemblance du récit.

Un humour noir décapant… L’auteur fait preuve d’un excellent humour mordant, qui rend la lecture d’autant plus plaisante. Les situations loufoques s’enchaînent et les réparties farfelues des personnages sont franchement cocasses. Même si le sujet est grave (on se retrouve tout de même avec un certain nombre de morts sur les bras !), on ne peut s’empêcher de s’amuser en suivant les altercations de deux vieillards avides d’argent, les éclats des matrones, les échauffourées qui surviennent pour un oui ou pour un non et le parler plus qu’imagé de tout ce petit monde.

Des personnages profonds… Les personnages ont beau être nombreux, ils sont décrits minutieusement et apportent tous leur pierre à l’édifice, même s’ils frôlent souvent la caricature. Les personnages principaux portent le poids de leurs actions passées. Des secrets remonteront à la surface et des blessures profondes seront dévoilées peu à peu, ajoutant une dimension psychologique très intéressante au récit.

Un livre qui vaut le détour et un auteur à suivre de très près… Jean-Louis Marteil mène tout cela fort habilement, sans se départir de son humour abrasif. Il nous met d’ailleurs immédiatement dans l’ambiance avec sa dédicace de début de roman : « À mon banquier, quel qu’il soit, passé, présent et à venir ». L’histoire est rondement menée et tout s’accélère sérieusement dans le dernier quart, le lecteur n’a plus de répit ! C’est ce qui fait les bons polars, ceux que vous ne pouvez poser avant d’avoir tourné la dernière page… Ce roman noir est loin des enquêtes policières classiques et c’est tant mieux !

Je remercie les éditions La Louve et Livr@ddict pour ce partenariat très réussi. Je ne connaissais pas cet auteur et je l’ai découvert avec grand plaisir.

Au passage, j’en profite pour saluer la constance de cette maison d’édition, sise elle-même à Cahors, qui publie un ouvrage, imprimé sur place, dont les événements se déroulent principalement dans cette ville. Cela mérite d’être souligné !

Pig island

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pig_islandDe Mo Hayder, traduit par Hubert Tézenas
Paru chez Pocket

Ce livre est l’une des créations si particulières de Mo Hayder, l’écrivaine au passé tumultueux devenue célèbre suite à la publication de Birdman et Tokyo. Pig Island appartient sans conteste à la catégorie thriller, mais c’est aussi bien plus que cela. Ce roman noir explore en effet le bras de fer psychologique entre le journaliste Joe Oakes et le gourou d’une secte Marvin Dove, lentement mais en profondeur, sur fond de satanisme et d’horreur.

En résumé, Joe Oakes, spécialisé dans la démystification des phénomènes paranormaux se rend sur l’île de Pig Island, en Écosse, pour tenter de mettre un terme au mythe de la créature monstrueuse, mi-homme mi-bête, qui aurait été filmée quelques années plus tôt sur l’une des plages de l’île, ainsi qu’aux rumeurs de satanisme dont est accusée la secte qui y vit. Il a également affronté le fondateur de la secte, Marvin Dove, dans sa jeunesse et ne peut résister à la tentation de régler ses comptes avec ce dernier. Bien entendu, rien n’est simple et Oakes aura beaucoup de fil à retordre au gré de ses rencontres. Pourtant, malgré les blessures physiques et morales qu’il encourt et la peur qui le tenaille, aucun danger ne le fera reculer.

Mo Hayder nous offre ici un monument de suspense. On est tenus en haleine jusqu’au bout et les rebondissements s’enchaînent. Le rythme est très rapide et c’est ce qui fait la force de ce roman par rapport à un thriller plus classique : on n’a jamais le temps de souffler, il se passe toujours quelque chose, même si l’intrigue n’est finalement pas si compliquée que cela. On se retrouve dans un monde parallèle où tout est possible. Pourtant, l’auteure ne fait pas dans la dentelle et les morts, les corps déchiquetés et les entrailles à nu s’enchaînent, un peu trop par moment peut-être, mais finalement dans l’ambiance, pourquoi pas… Les âmes sensibles feraient toutefois peut-être mieux de s’abstenir !

Pourtant, même si l’on ne peut nier le lien de parenté avec ses autres romans, la trame de celui-ci manque de finesse, avec quelques passages relativement équivoques et en tout cas restant sans réponse. Le dénouement, tant attendu, laisse finalement un peu sur sa faim, par ce qu’il a de suggestif, mais hélas non suffisamment développé, c’est dommage. Les phénomènes paranormaux sont essentiellement suggérés et non détaillés outre mesure, ce qui enlève un peu de relief à l’ensemble et peut être frustrant.

Ce livre dérange, trouble et attire à la fois. Il est diabolique, comme son sujet et même s’il n’est pas parfait et plutôt « en dessous » de ses deux autres romans cités plus haut, il mérite largement une lecture ! Cela dit, un lecteur averti en vaut deux : certaines scènes peuvent choquer.